Le président français, Emmanuel Macron, est un habitué de la controverse. Sa confiance en ses propres qualités de dirigeant est telle qu’elle lui vaut souvent d’être qualifié d’«arrogant». Pourtant, il se nourrit de cette image, qui a contribué à le propulser à la plus haute fonction du pays en premier lieu. L’annonce qu'il a faite tard dans la nuit lors d’une conférence de presse à l’issue d'un sommet réunissant vingt chefs d’État européens à Paris le mois dernier, dans laquelle il n’a pas exclu la possibilité d’envoyer des troupes européennes en Ukraine pour la soutenir dans sa guerre contre la Russie, a fait cependant l’effet d’une bombe, même selon ses propres critères.
Au cours des deux années qui ont suivi la dernière invasion russe de l’Ukraine voisine, les efforts de cette dernière pour récupérer l’ensemble de son territoire sont au point mort. Il est impressionnant de constater qu’elle est parvenue à reprendre plus de 50% des terres initialement occupées par la Russie en 2022. Toutefois, près d’un cinquième de son territoire est toujours occupé par les troupes russes et il s’avère plus difficile que prévu de sortir de cette impasse militaire.
Au début de la guerre, l’Occident était uni à la fois dans son objectif et dans sa volonté de soutenir l’Ukraine militairement, économiquement et diplomatiquement. Cependant, la lassitude s’est installée et d'autres crises ont détourné notre attention. En outre, plus le conflit reste durablement irrésolu, plus les partisans des efforts justes et héroïques déployés par l’Ukraine pour reconquérir les territoires occupés s’affaiblissent, surtout après l’offensive de printemps de l’année dernière qui n’a pas permis de reconquérir l’ensemble des territoires occupés.
Néanmoins, il s’agit là d’un prisme extrêmement étroit à travers lequel on peut évaluer le succès ou l’échec, sachant que la guerre en est déjà à sa troisième année. Avant tout, le soutien à l’Ukraine et à son peuple est un impératif moral pour protéger ceux qui sont victimes d’une agression pure et simple de la part d'un voisin plus puissant, mais à aucun moment le soutien à l’Ukraine ne doit être considéré comme une faveur ou une charité. Il s’agit plutôt d’un effort collectif pour préserver un ordre international fondé sur des règles. Sinon, la voie est ouverte à des agressions similaires, et pas seulement de la part de la Russie.
«En refusant d’exclure l’envoi de troupes terrestres en Ukraine, M. Macron a lancé un avertissement tant à Moscou qu’à ses propres alliés.» - Yossi Mekelberg
Le cas de l’Ukraine est devenu un exemple à suivre en ce qui concerne la défense des principes de la Charte des nations unies et d’autres conventions internationales en matière de protection de la souveraineté de tous les pays, sans parler de la prévention des crimes de guerre et de la traduction en justice de leurs auteurs. Dans le cas présent, où l’agresseur est un membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, le respect de ces principes est d’autant plus vital.
Le soutien massif à l’Ukraine s’explique aussi par des raisons pratiques immédiates, notamment la nécessité de faire face à de graves perturbations dans les chaînes d’approvisionnement en énergie et en denrées alimentaires, exacerbées par une inflation qui a ralenti une économie mondiale qui sortait à peine de la pandémie de Covid-19. Jusqu’à présent, ce soutien s’est limité à l’envoi de troupes en raison des risques de déclenchement d’une Troisième Guerre mondiale avec une puissance nucléaire.
En refusant d’exclure l’envoi de troupes terrestres en Ukraine, tout en reconnaissant qu’il n’y a pas de consensus sur cette approche, M. Macron a lancé un avertissement tant à Moscou qu’à ses propres alliés. Une semaine plus tard, le président français a continué à provoquer impitoyablement ses alliés occidentaux en les exhortant à ne pas être «lâches» en soutenant la guerre de l’Ukraine contre l’envahisseur russe. Il a ajouté qu’il «assumait» pleinement les propos qu’il avait tenus une semaine plus tôt, montrant clairement qu’il ne s’agissait pas d’un lapsus.
C’est sur ce point que la stratégie du dirigeant français pour gagner la guerre en Ukraine se différencie actuellement de celle de ses alliés occidentaux. «La Russie a changé de position. Elle s’efforce de conquérir de nouveaux territoires et elle a les yeux rivés non seulement sur l’Ukraine, mais aussi sur de nombreux autres pays», a-t-il déclaré. Définissant ses propositions comme une mesure défensive, Emmanuel Macron invite les autres pays à tenir compte de ce conseil.
Le 24 février 2022, l’Otan exprimait son soulagement de voir que l’Ukraine n’était pas membre de l’organisation. L’alliance n’était donc pas tenue d’activer l’article 5, ce qui l’aurait obligée à se porter à la défense de l’Ukraine. Néanmoins, cela n’a pas empêché l’Otan et ses membres de mobiliser un soutien massif en faveur de l’Ukraine, car le pays a également bénéficié immédiatement du leadership exceptionnel de Volodymyr Zelensky et de son gouvernement en temps de guerre, ainsi que de l’héroïsme de son peuple et de ses soldats. L’Ukraine a ainsi pu contenir l’armée russe sans que les troupes occidentales n'aient à intervenir sur le terrain.
L’envoi de troupes occidentales devrait être une option de dernier recours dans le cas où l’Ukraine serait en danger imminent de défaite.
Yossi Mekelberg
La motivation de M. Macron pourrait provenir de son attention accrue aux signaux d’alarme constants, y compris ceux de la CIA, indiquant que l’Ukraine est à court de munitions, et de la lenteur du Congrès américain à allouer davantage de fonds pour soutenir les Ukrainiens. À cela s’ajoute la perspective d’une victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine de novembre. Par ailleurs, Emmanuel Macron aurait cherché à défier son antagoniste au sein de l’Union européenne, le chancelier allemand, Olaf Scholz, qui redoute l’idée d’envoyer des troupes combattre dans cette guerre.
Des documents récemment divulgués révèlent également qu’un certain nombre de pays, dont le Royaume-Uni, les États-Unis, la France, la Lettonie et les Pays-Bas, ont déjà envoyé un petit nombre de forces spéciales en Ukraine, tandis que ces pays et d’autres n’ont déployé aucun effort pour empêcher leurs citoyens de se porter volontaires pour combattre du côté ukrainien. Toutefois, M. Macron a désormais évoqué la perspective d’une intervention militaire à plus grande échelle et, dans ce cas, d’une déclaration de guerre inévitable à la Russie.
Il s’agirait sans aucun doute d’une décision très risquée qui ne devrait pas être prise à la légère. L’Ukraine a besoin et mérite le soutien du monde. L’argument avancé par Kiev selon lequel il ne s’agit pas seulement de sa guerre, mais d’une guerre pour la défense de l’État de droit qui empêcherait la poursuite de l’expansion russe n’est pas simplement alarmiste; c’est une triste réalité. Toutefois, l’envoi de troupes occidentales devrait être une option de dernier recours dans le cas où l’Ukraine serait en danger imminent de défaite.
Pour l’instant, l’aide militaire, le renouvellement des approvisionnements en munitions, la modernisation des armes existantes et la fourniture d’une assistance technique et d’une formation devraient rester des politiques américaines et européennes, car l’Ukraine a de bonnes chances de reconquérir une plus grande partie de son territoire. De même, une plus grande pression peut être exercée sur Moscou par le biais d'un régime de sanctions plus sévères. La combinaison de l’amélioration des capacités, facilitée par l’aide occidentale, et de la bravoure des soldats ukrainiens s’est avérée plus fructueuse qu’on ne l’aurait imaginé il y a deux ans, et il est possible d’en tirer parti. L'idée d’Emmanuel Macron d’envoyer des troupes terrestres a ses mérites, mais nous sommes déjà confrontés à une guerre froide 2.0 et cela pourrait bien précipiter le monde au bord d’une Troisième Guerre mondiale.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord au sein du groupe de réflexion sur les affaires internationales Chatham House. X : @YMekelberg
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com