Dans la quête collective de stabilité en Libye, la communauté mondiale continue d’être le témoin de l’effondrement de sommets et d’initiatives louables. Le dernier événement en date est la conférence de réconciliation nationale de Syrte, qui se tiendra le mois prochain. Ce rassemblement ambitieux ouvre la voie à la paix et à l’unité en Libye, une nation déchirée par plus d’une décennie de conflits meurtriers et de divisions qui s’aggravent.
Tout comme les tentatives précédentes au fil des ans, la conférence de Syrte, dirigée par l’ONU et parrainée par l’Union africaine, a une fois de plus pour ambition d’inciter diverses factions libyennes à se mettre d’accord sur des mécanismes de réconciliation nationale dans l’espoir de mettre fin au cycle de violence et d’ouvrir la voie à la gouvernance démocratique et à la stabilité.
Cependant, malgré ces nobles objectifs, le succès de cette conférence est loin d’être garanti; il faut déjà espérer qu’elle ait lieu. Les divisions profondément enracinées en Libye, aggravées par les intérêts des acteurs étrangers, posent des défis importants et entravent la recherche d’un consensus sur des questions clés, comme la répartition des revenus pétroliers, l’intégration des milices dans une armée nationale unifiée et la mise en place d’un seul gouvernement légitime.
En outre, les résultats du sommet risquent d’être entachés non seulement par la méfiance persistante entre les factions, mais aussi par une lassitude omniprésente parmi les Libyens moyens, qui ont tout simplement baissé les bras parce qu’ils ont perdu toute confiance en ces dirigeants politiques belliqueux. Il existe d’autres préoccupations: elles concernent un éventuel boycott de la part des principales parties prenantes. Ces dernières se sentent déjà marginalisées et sceptiques à l’égard de l’initiative menée par l’ONU, qui a largement permis aux factions belligérantes de négocier à huis clos les mécanismes d’unification du système politique fracturé de la Libye.
L’initiative est donc vouée à l’échec avant même de commencer. Nous assistons à un schéma d’échec récurrent qui trahit une réalité tenace: la diplomatie conventionnelle est mal adaptée aux complexités de la politique libyenne. Les acteurs influents refusent toujours d’affronter une vérité qui dérange, où les interventions répétées n’ont pas encore réellement guidé les dirigeants politiques ni les acteurs institutionnels libyens vers la réconciliation dont le pays a si désespérément besoin.
Le fait que le sommet de Syrte soit menacé témoigne d’une pathologie plus importante qui affecte les efforts internationaux en Libye. Les mêmes mécanismes diplomatiques sont déployés et les mêmes négociations se tiennent en coulisses, promettant d’être la solution miracle aux maux politiques de la Libye. Pourtant, ces méthodes n’ont servi qu’à consolider des intérêts particuliers et à creuser les fossés entre les acteurs locaux, diamétralement opposés à la transition de la Libye vers un État stable et démocratique. Non seulement le recours persistant à ces tactiques dépassées est inefficace, mais il se révèle contre-productif. Plutôt que de favoriser un véritable dialogue et un compromis, ces manœuvres donnent une impression de progrès tout en favorisant la division et le conflit.
Pourquoi les acteurs internationaux continuent-ils à insister sur ces approches erronées? La réponse réside dans une mauvaise appréciation de la dynamique interne de la Libye et dans une surestimation de l’influence extérieure.
La conviction selon laquelle les pressions et incitations extérieures peuvent remodeler des paysages politiques bien établis se révèle infondée. C’est cette idée erronée qui a conduit à l’impasse actuelle. La réalité est que les dirigeants politiques libyens sont aptes à naviguer dans les eaux troubles de la diplomatie internationale, montant souvent un acteur contre un autre afin de préserver leur pouvoir. Le réseau complexe de milices, d’alliances tribales et d’intérêts économiques qui définissent la politique intérieure du pays ne peut pas être démêlé par les mêmes personnes qui ont échoué, à maintes reprises, à saisir les subtilités de son tissu social.
Les acteurs extérieurs échouent systématiquement en Libye d’au moins quatre manières principales.
«L’hypothèse inquiétante selon laquelle une démocratie de type occidental peut simplement être parachutée en Libye perdure encore aujourd’hui.»
- Hafed al-Ghwell
Premièrement, aucune tentative significative n’a été faite pour résoudre l’interminable dilemme sécuritaire de la Libye. En l’absence d’une autorité centrale forte, les factions concurrentes se retrouvent dans une situation où elles sont obsédées par leur sécurité, incitant les autres à en faire de même. Cela provoque une course aux armements et des conflits périodiques. Au fil du temps et en l’absence de tout contrôle, les milices libyennes se sont depuis mêlées à l’État, transformant une simple course aux armements en une compétition de grande envergure pour se doter d’une influence politique. Les priorités passent ainsi de la consolidation de la paix ou de la réconciliation vers la division en factions et la préservation d’un statu quo invalidant.
Deuxièmement, insister sur une sorte de «consociationalisme» pour gérer les dynamiques d’après le conflit dans une société diversifiée sur le plan ethnique ou tribal comme la Libye peut apparaître théoriquement judicieux. Malheureusement, proposer un accord de partage du pouvoir entre groupes égaux ne fonctionne jamais lorsque des entités étrangères qui ont des intérêts personnels soutiennent différents acteurs locaux, bouleversant l’équilibre délicat nécessaire au consociationalisme. En conséquence, le scénario libyen montre systématiquement un mélange entre la volatilité sectaire de l’Irak après l’invasion et les conflits interminables entre seigneurs de guerre qui ont secoué l’Afghanistan avant le retrait peu judicieux des États-Unis.
Troisièmement, compte tenu de la richesse pétrolière de la Libye, proposer une transition vers une démocratie de marché comme voie vers une paix durable semble également une bonne idée en théorie. Cependant, la mise en œuvre d’une telle approche sans institutions stables ne parvient pas à étouffer la concurrence au niveau des ressources et les comportements de recherche de rente, ce qui exacerbe les conflits, comme on l’a vu au Mali. Étonnamment, l’hypothèse inquiétante selon laquelle une démocratie de type occidental peut simplement être parachutée en Libye perdure encore aujourd’hui. Une telle réflexion régit souvent la manière dont certains pays structurent leur politique et leurs alignements vis-à-vis de la Libye.
Enfin, un décalage persiste depuis près d’une décennie entre les acteurs étrangers et locaux en ce qui concerne les aspirations de la plupart des Libyens. Les intérêts étrangers concurrents donnent souvent la priorité aux gains stratégiques plutôt qu’au bien-être à long terme et aux aspirations démocratiques du peuple libyen. En outre, le zèle souvent observé en faveur d’interventions hiérarchisées qui font fi de la culture de gouvernance locale n’a fait qu’accroître la méfiance à l’égard de l’État, compliquant ainsi les efforts d’un futur gouvernement unifié qui viserait à restaurer la légitimité des institutions étatiques.
Nous attendons donc depuis longtemps un changement de paradigme dans la manière dont nous abordons la question libyenne. Nous devons nous éloigner d’une stratégie qui accorde une importance disproportionnée à l’action des acteurs internationaux et qui fait des promesses excessives sur l’efficacité des interventions extérieures. Nous devons plutôt responsabiliser la société civile libyenne, soutenir les mouvements populaires et renforcer la capacité des institutions locales à favoriser la réconciliation.
Cette approche participative est la seule voie viable pour construire un ordre politique durable et inclusif en Libye. C’est une voie qui respecte le libre arbitre du peuple libyen et qui reconnaît son droit à l’autodétermination sans les diktats mal alignés, égoïstes et autoritaires des acteurs étrangers.
La conjoncture confuse de la conférence de Syrte nous rappelle brutalement que les Libyens doivent forger eux-mêmes l’avenir de la Libye. Le rôle de la communauté mondiale devrait être un rôle de soutien et non d’orchestration. Tant que nous n’aurons pas bien assimilé cette leçon et adapté notre approche en conséquence, nous continuerons d’être témoins du cycle d’initiatives ratées qui ont fini par définir la recherche d’une paix libyenne acceptable.
Hafed al-Ghwell est chercheur principal et directeur exécutif de l’Initiative stratégique d’Ibn Khaldoun au Foreign Policy Institute de la John Hopkins University School of Advanced International Studies, à Washington.
X: @HafedAlGhwell
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com