BANGUI: Dix candidats de l'opposition ont demandé mardi l'annulation de la réélection du président Faustin Archange Touadéra dans un scrutin qu'ils jugent « discrédité », n'ayant permis qu'à un électeur sur deux de pouvoir voter dans ce pays où la guerre civile est ravivée par une nouvelle offensive rebelle.
L'Autorité des élections (ANE) avait annoncé lundi que Touadéra avait recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés dès le premier tour le 27 décembre, 53,92%, mais la Cour constitutionnelle a jusqu'au 19 janvier pour valider ce résultat après les recours annoncés par l'opposition.
Le taux de participation, qui devait légitimer véritablement un second mandat du chef de l'Etat, annoncé à 76,31%, n'a tenu compte que de quelque 910 000 électeurs inscrits sur environ 1,8 millions initialement répertoriés dans les listes électorales. Seuls un Centrafricain sur deux en âge de le faire a donc pu voter ou s'abstenir pour la présidentielle mais aussi les législatives tenues le même jour.
Dans près de la moitié des bureaux, « le vote n'a pas pu avoir lieu ou bien les bulletins ont été détruits », a expliqué Théophile Momokoama, rapporteur général de l'ANE.
« Nous demandons l'annulation pure et simple et la reprise » des deux élections, ont écrit mardi soir dix candidats de l'opposition recalés par l'ANE, dont Anicet Georges Dologuélé et Martin Ziguélé, deux ex-Premiers ministres arrivés 2e et 3e selon l'ANE, sur 17 prétendants au total.
Ils ont également dénoncé et listé « de nombreuses irrégularités » dans un processus électoral qui « n'a pas respecté les normes et standards internationaux universellement reconnus » et « ne saurait conférer la légitimité au président élu ».
Dans la capitale Bangui, l'ambiance était pourtant celle d'un mardi ordinaire, les uns se rendant au marché, les autres au travail, même si nombre de personnes interrogées se gardaient bien de laisser transparaître leurs préférences pour un camp ou l'autre, dans une ville qui bruit de rumeurs d'infiltration de rebelles ou quadrillée par les forces loyalistes.
« Les résultats sont proclamés, je ne peux que m’en réjouir, comme tous ceux qui ont soutenu le président et c’est un vote de rejet de la violence », s'est félicité Ange-Maxime Kazagui, porte-parole du gouvernement, qui défend des élections « crédibles ».
« Mascarade »
L'opposition, elle, dénonce une « mascarade » entachée de « fraudes massives ».
En ne comptant que 910 000 inscrits, l'ANE a « pris la responsabilité d'ignorer avec le plus grand mépris les 947 452 Centrafricains que la violence des groupes armés a empêché de voter », soit « 51% du corps électoral », affirmait Dologuélé qui a, à l'instar des autres candidats de l'opposition, annoncé un recours contentieux.
« Je ne donne aucun crédit à ces résultats, c'est une mascarade, une honte pour notre pays », a renchéri Ziguélé.
« Cette élection est un pas de géant en arrière par rapport à celle de 2016 », estime Thierry Vircoulon, spécialiste de l'Afrique centrale à l'Institut français des relations internationales (Ifri). « Avec un taux de participation réel de 30% », « une fraude par le recours à des dérogations et des missions d'observation électorale internationales parties avant l'annonce des résultats », ce scrutin est « tout sauf crédible », assène-t-il.
L'Union africaine (UA), l'Union européenne (UE), l'ONU et la Communauté économique des Etats de l'Afrique centrale (CEEAC), qui ont investi des millions de dollars dans l'organisation du scrutin, ont loué « la détermination des Centrafricains à exercer leur droit de vote, malgré les nombreux obstacles » dans une déclaration conjointe « prenant note des résultats provisoires ».
La Russie, puissant soutien de Touadéra depuis plus de deux ans, s'est également réjouie de « la tenue réussie des élections ».
L'ANE a commencé mardi à égrener les résultats des législatives mais dans 82 circonscriptions où le vote a pu avoir lieu sur 140. 21 candidats ont été élus dès le premier tour, dont six du parti de Touadéra, tous les autres qualifiés se donnant rendez-vous pour le second, prévu le 14 février.
Offensive rebelle
Ces élections se sont déroulées dans un pays où une guerre civile, initiée en 2013 et très meurtrière jusqu'en 2018 avant de baisser en intensité, a été ravivée depuis près de trois semaines par l'annonce d'une offensive rebelle pour empêcher le scrutin.
Le 19 décembre, une coalition des principaux groupes armés qui se partagent déjà deux tiers du pays avait ainsi juré de « prendre le contrôle de tout le territoire ». Touadéra avait immédiatement dénoncé une « tentative de coup d'Etat » sous les ordres de François Bozizé, le président renversé en 2013 et dont la candidature avait été invalidée par la Cour constitutionnelle.
Bozizé est recherché et visé par une enquête judiciaire notamment pour « rébellions ».
Depuis l'annonce de l'offensive, les groupes armés n'ont quasiment pas gagné de terrain, selon la Mission de l'ONU en Centrafrique (Minusca) et le gouvernement. Ils font face au déploiement de l'armée mais surtout de plus de 12 000 Casques bleus et de centaines de renforts bien équipés, principalement des paramilitaires russes et soldats d'élite rwandais dépêchés rapidement par Moscou et Kigali.
Les groupes armés ont, ça et là, attaqué et pris - le plus souvent brièvement - des villes enclavées dans les territoires qu'ils occupent, mais essentiellement à des centaines de km de Bangui.