LAGOS: "Le ramadan n'a pas encore commencé et certaines personnes jeûnent déjà, car ils ne peuvent pas se permettre de manger. Tout est cher en ce moment", se lamente Owoyemi Sherifent Mojisola, 54 ans, avant de se rendre à la mosquée centrale de Lagos au Nigeria.
Les fidèles se précipitent à l’intérieur du lieu de culte, qui surplombe la capitale économique nigériane, pour accomplir la dernière prière du vendredi, avant le début du mois sacré de jeûne des musulmans.
Dans le pays le plus peuplé d'Afrique composé à 50% de musulmans, l’inflation galopante approche les 30% à la veille du ramadan prévu dès la semaine prochaine, selon les chiffres du bureau national des statistiques.
Une situation qui pousse les plus modestes à renoncer à des aliments désormais considérés comme des produits de luxe tels que la viande, les oeufs, le lait et les fruits.
"Je n'ai jamais acheté auparavant une orange à 200 nairas (soit 0,11 euros) ou à 300 nairas (0,17 centimes). Un ananas vaut 500 nairas (0,29 euros) aujourd’hui, nous ne pouvons plus en acheter. Il y a quelques mois, l'ananas valait 100 nairas (0,057 euros) ou même 50 nairas (0,029 euros)", explique Mme Sherifent Mojisola.
Cette vendeuse de vêtements s'inquiète de ne plus pouvoir réussir à nourrir ses trois enfants avec son maigre salaire de moins de 90.000 nairas par mois (soit 52 euros) .
La fin des subventions des carburants et du contrôle des devises décidée par le président Bola Tinubu à son arrivée à la tête du Nigeria en mai 2023, a fait tripler les prix du carburant et a entraîné une hausse globale du coût de la vie dans le pays.
Le président nigérian a appelé à plusieurs reprises ses compatriotes à faire preuve de patience, affirmant que ses réformes permettront d'attirer les investisseurs étrangers et de faire repartir l'économie, mais les effets positifs de ces réformes économiques tardent à se faire sentir d’après les critiques.
Insécurité alimentaire
"Les gens se suicident juste à cause de l'inflation, ils ne peuvent plus nourrir leur famille. C'est vraiment dur", déplore Idihabom Nafisah Oyebanji, la tête couverte d’un voile rose.
Pour cette mère de famille de 42 ans venue à la mosquée centrale de Lagos accompagnée de ses amies, ce mois de ramadan s’annonce plus difficile que le précédent déjà marqué par la crise économique.
"Nous aimions acheter du lait, du melon, de la confiture… Nous ne pouvons plus en acheter" confie Mme Oyebanyi qui se contentera désormais de "pap, un pudding à base de céréales, de dattes et de riz" à la rupture du jeûne.
La hausse des prix des denrées alimentaires met également les commerçants dans une situation difficile.
"Je vends des plats préparés avec au choix du riz, des pâtes, des bananes plantains, du poisson, de la viande parfois et des légumes. Mais bientôt je ne pourrai plus acheter de pâtes car le paquet qui coûtait 500 nairas (0,29 euros) est maintenant à 1.000 nairas (0,57 euros)" détaille Simiat Muhammad sur le grand marché installé aux abords de la mosquée.
Depuis quelques mois, elle se sent "obligée d’accepter les crédits de ses clients" qui ne peuvent plus s’offrir ses plats.
Quelques mètres plus loin, Azeez Shelifiu dans sa longue djellaba bleu fait le même constat.
"Les gens n’ont plus d'argent pour payer des petits plaisirs pour le ramadan comme mon encens. Les Nigérians n'achètent plus, où demande des crédits" explique le jeune homme de 31 ans, dont les revenus mensuels sont passés de 60.000 (35 euros) à 40.000 nairas (23 euros) en moins de six mois.
L’insécurité alimentaire qui gagne le Nigeria a donné lieu début mars au pillage d’un entrepôt de l'administration locale d’Abuja, où une foule a emporté des sacs de céréales, poussant l'Agence nationale de gestion des urgences du Nigeria (NEMA) à renforcer la sécurité.
Dans la première économie d'Afrique, au moins 63% des Nigérians vivent dans une situation d'extrême pauvreté, selon des chiffres officiels.
Cette scène de pillage a eu lieu seulement quelques jours après des manifestations nationales contre la vie chère organisées par la confédération syndicale du Nigeria Labour Congress (NLC), rassemblant quelques milliers de manifestants, fin février.
Face aux difficultés liées à la crise économique, l’imam de la mosquée centrale de Lagos Sulaiman Oluwatoyin Abou-Nolla en appelle à la solidarité.
"Nous devons nous soutenir les uns les autres surtout durant cette période de ramadan" a déclaré à l’AFP l’imam, qui prévoit des distributions alimentaires au cours du mois dans la mosquée.