KOSTIANTYNIVKA: Lioudmyla Polokova erre parmi les décombres de son école, frappée en janvier par deux missiles russes. L'enseignante sait qu'il est loin le jour où, peut-être, y résonneront de nouveau des rires d'enfants.
Marchant sur le sol jonché de bris de verre et de pages arrachées, elle raconte son épuisement, après deux années à vivre avec les bombes russes qui s'abattent sur sa ville de Kostiantynivka et sur le reste du Donbass ukrainien.
A 18 kilomètres de là, sur le front, les forces russes sont à l'offensive. Les défenses ukrainiennes tremblent, affaiblies par le manque d'hommes et de munitions.
"Nous sommes fatigués d'entendre que nos hommes meurent. Nous sommes fatigués de voir tout ça de nos propres yeux, de ne pas dormir la nuit à cause du bruit, à cause des missiles", confie à l'AFP cette prof de 62 ans depuis la cour d'école, qui surplombe un cimetière et des cheminées d'usines soviétiques.
Elle veut encore croire en "des jours meilleurs", alors que l'Ukraine marquera le 24 février le deuxième anniversaire de l'invasion russe. Mais dans toute la région, un sentiment croissant d'abattement est palpable.
Depuis des mois, les mauvaises nouvelles s'accumulent: l'échec de la contre-offensive estivale de Kiev, le tarissement de l'aide occidentale, les pénuries d'armements, la consolidation de la machine de guerre russe, et désormais aussi la chute d'Avdiïvka, ville forteresse ukrainienne abandonnée aux Russes le 17 février.
Et chez les soldats ukrainiens, le sentiment de vaciller au bord d'un abîme grandit.
Les Vingt-Sept doivent faire davantage pour livrer des munitions, affirme Borrell
Le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell a exhorté les Etats membres de l'Union européenne (UE) à faire davantage pour expédier des munitions à l'Ukraine qui souffre d'une pénurie d'armes dans la guerre qui l'oppose à la Russie.
"Les soldats ukrainiens sont déterminés à combattre mais ils ont besoin de munitions. D'urgence et en énormes quantités", a écrit M. Borrell aux ministres des Affaires étrangères et de la Défense des Vingt-Sept dans une lettre datée de mercredi.
"Les retards de livraison de munitions ont un coût en matière de vies humaines et affaiblissent les capacités de défense de l'Ukraine", a-t-il ajouté.
L'UE avait promis de fournir à l'Ukraine un million d'obus au cours de l'année écoulée.
Pire en pire
"Nous manquons d'obus, et les Russes ne cessent d'arriver. Beaucoup de nos camarades sont blessés et pire. C'est de pire en pire...", raconte, sous couvert d'anonymat, un militaire déployé dans la région, non loin de Bakhmout, ville conquise par l'armée russe au printemps dernier à l'issue d'une bataille sanguinaire.
"Il n'y a plus d'approvisionnement en munitions, plus d'appuis de l'artillerie, et le commandement ne se soucie plus du moral des troupes", dit un autre.
Le président Volodymyr Zelensky lui-même a fait état d'une situation "extrêmement difficile", soulignant que les atermoiements américains quant à l'aide à l'Ukraine risquaient d'avoir des conséquences terribles.
A Kostiantynivka, l'enseignante Lioudmyla Polokova n'arrive pas à imaginer l'implication qu'aurait la fin du soutien des Etats-Unis.
"C'est dur d'imaginer ce qui pourrait se passer alors. Je sais juste que nos gars sont dévoués, sacrifient leurs vies, meurent", dit-elle, les yeux gonflés de larmes.
Dans le Donbass, le bilan des morts et blessés civils grandit lui aussi, les frappes s'intensifiant dans les zones habitées, en même temps que les assauts se multiplient sur le front.
Mi-février à Kramatorsk, la grande ville de la région à 25 kilomètres des combats, une femme, sa mère et son fils ont été tués, enterrés sous les gravats de leur maison détruite par un missile russe. En pleine nuit, sous les lumières de projecteurs, des dizaines de secouristes ont tenté en vain de les sauver.
Aucun bilan exhaustif des morts civils de la guerre n'a jamais pu être établi, car personne ne sait combien de corps se trouvent sous les ruines et dans les fosses communes de l'Est et du Sud occupés de l'Ukraine. Mais ces victimes se comptent probablement en dizaines de milliers.
Olga Ioudakova, une psychologue d'un centre de soutien à Kramatorsk, raconte la souffrance mentale de la population, en particulier chez ceux qui ont fui les localités conquises par les Russes, et désormais à Kramatorsk.
Le FMI va débourser 880 millions de dollars
Le FMI va débourser 880 millions de dollars pour l'Ukraine, correspondant à la troisième tranche d'un plan d'aide de 15,6 milliards de dollars adopté en mars 2023, a annoncé jeudi l'institution, quasiment deux ans jour pour jour après l'invasion par la Russie.
Cette aide doit encore être approuvée par le conseil d'administration du Fonds monétaire international.
"Les résultats du programme (d'aide) ont été solides malgré les difficultés de la guerre", a salué dans un communiqué Gavin Gray, responsable de l'équipe du FMI qui a tenu des discussions à Varsovie avec des responsables ukrainiens, du 17 au 22 février 2024.
L'équipe a réalisé une évaluation des objectifs qui avaient été fixés il y a un an, lors de l'adoption de cette aide accordée dans le cadre du mécanisme élargi de crédit (MEDC) et qui s'étale sur quatre années.
Fondre en larmes
"L'anxiété chez les enfants est à son comble, il y a une instabilité psychologique énorme", raconte la thérapeute de 61 ans, "et c'est pire encore chez les adultes".
"Je n'ai jamais vu autant d'adultes qui juste soudainement fondent en larmes", dit la psychologue qui exerce depuis 40 ans et connaît la guerre depuis dix ans, la Russie ayant déclenché dès 2014 une insurrection séparatiste armée dans l'Est ukrainien.
La peur gagne d'autant plus de terrain qu'à 25 kilomètres à vol d'oiseau au Sud-Est, la bourgade de Tchassiv Iar est sous la menace directe des forces russes. De là, ces dernières pourraient pilonner Kramatorsk.
Oleg Kroutchinine, un prêtre orthodoxe de 50 ans, est de ceux qui ont fui la première pour se réfugier dans la seconde.
De temps à autres, il retourne encore, malgré le danger, à Tchassiv Iar pour y célébrer une messe en sous-sol pour les soldats et les quelques civils qui refusent de partir.
"Beaucoup perdent la foi et l'espoir, d'autres, au contraire, les trouvent", raconte-t-il après le baptême d'un nouveau-né.
Selon le prêtre, à l'aube d'une troisième année de guerre, tous les fidèles lui posent la même question: "quand la guerre se finira-t-elle ?".
"Et je ne connais pas la réponse", dit-il.