STOCKHOLM: Iryna Halubouskaya, Bélarusse de 41 ans, époussette les meubles d'un appartement situé dans un quartier bobo de Stockholm, un compteur en tête: faute d'atteindre le salaire mensuel exigé, elle risque l'expulsion.
Arrivée il y a six ans grâce à un visa de travail, elle devait à l'époque justifier d'un salaire minimal de 13 000 couronnes (1 150 euros) par mois pour pouvoir rester en Suède.
Depuis le 1er novembre, le salaire mensuel requis pour les étrangers hors espace Schengen ou Union européenne pour obtenir un tel visa a été doublé à 27 360 couronnes, soit 80% du salaire médian.
Payée à l'heure, Iryna a vu son rythme de travail considérablement augmenter. "Je pense tout le temps à mon salaire", raconte-t-elle à l'AFP.
Le gouvernement suédois, soutenu par le parti d'extrême droite des Démocrates de Suède, affiche depuis son arrivée en 2022 sa volonté de réduire drastiquement l'immigration légale, notamment peu qualifiée.
"Nous voulons changer la nature de la main-d'oeuvre immigrée (...) et nous concentrer sur la main-d'oeuvre" diplômée, explique à l'AFP la ministre des Migrations Maria Malmer Stenergard, du parti des Modérés.
Elle se dit "convaincue qu'il y a des personnes en Suède qui devraient être capables d'occuper" les emplois faiblement rémunérés, que ce soit des citoyens suédois ou des personnes d'origine étrangère arrivées dans le pays en tant que réfugiés ou demandeurs d'asile. D'autant que le chômage est à un niveau très élevé, souligne-t-elle: 8,1% en janvier, selon l'agence des statistiques SCB.
Mi-février, le gouvernement a dit vouloir placer la barre encore plus haut, à 100% du salaire médian, soit 34 200 couronnes.
Effet symbolique
Jennyfer Aydogdyeva, la patronne d'Iryna, est à la tête d'une entreprise de ménage d'une trentaine d'employées, Städfen AB. Six d'entre elles sont concernées par la nouvelle loi et risquent l'expulsion.
Alors pour que "ses filles", la plupart mères, puissent rester en Suède, elle leur trouve davantage de missions.
"Je ne pensais pas qu'ils allaient plus que doubler le critère de revenus du jour au lendemain, je ne pensais pas qu'on pouvait faire ça contre un être humain qui vit ici", lâche-t-elle.
Les deux secteurs les plus affectés sont la restauration et le nettoyage.
Selon des données de l'Agence des migrations au 1er novembre 2023, 14.991 visas de travail octroyés sur 63.477 n'atteignent pas le seuil salarial actuellement en vigueur, dans un pays d'environ 10,4 millions d'habitants.
L'impact sur le marché de l'emploi risque donc d'être symbolique.
Vladan Lausevic, membre de l'association Work Permit Holders dénonce ce qu'il considère comme une loi discriminatoire.
"Les partis de centre-droit en Europe autrefois favorables aux migrations de travail disent désormais aux électeurs : +nous contrôlons et empêchons l'arrivée de plus de gens en Suède+", note-t-il.
Pénurie d'infirmières
Il est trop tôt pour dire si cette loi aura les effets économiques escomptés, estime pour sa part Andrea Spehar, directrice du Centre on Global Migration à l'université de Göteborg.
"Si on compare la Suède à d'autres pays, la migration des travailleurs y est assez faible", explique-t-elle. "C'est avant tout une réforme qui vise les personnes d'origine étrangère" déjà présentes dans le pays.
Pour Mme Spehar, le gouvernement veut inciter les employeurs à recruter ces personnes plutôt que des ressortissants de pays tiers qui leur coûteraient moins cher.
Pour la Fédération nationale des collectivités territoriales (SKR), la réforme ne prend pas en compte les difficultés de recrutement dans le domaine de la santé et de la vieillesse.
Plusieurs communes, majoritairement dans le nord du pays, ont du mal à trouver "suffisamment d'infirmières, d'aides-soignantes et autre personnel", souligne un responsable de SKR Anders Barane, et se sont jusqu'à présent reposées sur une main-d'oeuvre étrangère.
Dans un pays où les salaires sont négociés secteur par secteur et régulés par des conventions collectives négociées entre le patronat et les syndicats, cet interventionnisme fait hausser les sourcils.
Certains employeurs ont augmenté les salaires de leurs employés étrangers pour leur permettre de rester en Suède.
"Ce n'est pas la bonne voie", estime M. Barane qui craint une "spirale" qui pousserait le salaire médian à la hausse, rendant encore plus difficile l'arrivée de main-d'oeuvre étrangère dans le pays, pourtant nécessaire, selon lui, pour pourvoir ces emplois.