L'administration Biden prend peu à peu conscience que la guerre entre Israël et le Hamas à Gaza est bien plus que la dernière bataille en date de ces deux ennemis jurés.
Ce conflit déstabilise la région, avec des implications géopolitiques et économiques dangereuses qui vont bien au-delà du Moyen-Orient et dont la résolution pourrait prendre beaucoup de temps.
Une question qui a été négligée, non seulement par l'administration actuelle à Washington, mais aussi par un certain nombre d'administrations précédentes, est la nécessité d'adopter une position ferme contre la violence des colons israéliens en Cisjordanie occupée, qui ne devrait jamais être tolérée, quelle que soit l'opinion de chacun sur le conflit israélo-palestinien et sa résolution potentielle.
Ce mois-ci, l'administration Biden a enfin décidé de sortir de sa réserve sur cette question. Au lieu de continuer à faire des déclarations inefficaces sur ce comportement abject, le président a imposé des sanctions à quatre Israéliens identifiés comme ayant participé à la violence des colons en Cisjordanie.
Pour l'instant, il s'agit d'un geste de portée très limitée, même si certains s'attendaient à ce que ces sanctions touchent d'autres colons impliqués dans les violences, y compris les plus médiatisés d'entre eux, notamment ceux qui les provoquent.
Mais si la décision d'imposer de telles mesures a mis du temps à venir, il n'en reste pas moins que mieux vaut tard que jamais. Il faut espérer que le message qu'elle envoie aura l'effet escompté.
Ne nous voilons pas la face, l'intention de Joe Biden ne se limite pas à faire un exemple de quatre colons prétendument violents, ni même à la question de la violence des colons en général. Il s'agit également de l'exaspération croissante de Washington face aux actions du Premier ministre Benjamin Netanyahou et de son gouvernement sur un large éventail de questions, notamment les tactiques visant à retarder les efforts pour obtenir un cessez-le-feu à Gaza, le blocage des livraisons d'aide humanitaire au territoire, le fait de permettre aux membres d'extrême droite de la coalition au pouvoir, dont plusieurs sont eux-mêmes des colons, d'enflammer davantage une situation déjà explosive, et le refus de reconnaître la nécessité d'une résolution politique du conflit plus large entre Israël et la Palestine sur la base d'une solution à deux États.
Si les États-Unis veulent sauver le peu de crédibilité qu'ils ont encore dans la région - qui a été encore plus érodée par leur soutien inconditionnel à la manière dont Israël a mené sa guerre à Gaza, et le prix horrible que cela a coûté à la population du territoire - ce qui est désespérément demandé à Biden, c'est de faire preuve d'équilibre et d'intégrité lorsqu'il s'agit de la vie du peuple palestinien.
Depuis des années, les présidents américains successifs ont été avertis que le comportement violent et anti-palestinien des colons israéliens en Cisjordanie occupée exacerbait une situation qui est aujourd'hui sur le point d'exploser. La provocation est d'autant plus grande que ces violences se déroulent non seulement en toute impunité, mais parfois avec le soutien, direct ou indirect, de l'armée israélienne.
En évitant de prendre des mesures pour endiguer ce comportement criminel, Washington s'en est fait le complice.
L'impératif moral d'intervenir pour défendre des civils innocents - et dans la plupart des cas, cette violence touche certains des Palestiniens les plus vulnérables, qui vivent dans des communautés agricoles isolées dans la zone C de la Cisjordanie, qui est sous le contrôle total d'Israël - devrait être au-delà de tout besoin d'explication ou de justification. Après tout, les attaques des colons sont non seulement répréhensibles, mais aussi illégales selon les propres normes juridiques de l'occupant.
Imposer des sanctions à l'encontre de quatre colons constitue un avertissement clair : le plus proche allié d'Israël ne tolérera plus la violence des colons.
Yossi Mekelberg
Les États-Unis investissent des ressources considérables pour assurer la coordination entre les forces de sécurité israéliennes et palestiniennes, ce qui vise principalement à protéger Israël contre les actes de militantisme. Parce qu'elle n'offre pas la même protection aux Palestiniens contre la violence des colons, elle ne répond pas aux attentes des deux communautés.
Ce n'est pas vraiment un secret d'État que la minorité de colons impliqués dans les attaques contre des civils palestiniens sans défense est constituée d'une horde de voyous sans cervelle motivés par une interprétation totalement ignorante et excessivement fanatique du judaïsme. Pour eux, la loi du pays n'est qu'une suggestion. C'est la loi religieuse - telle qu'elle est interprétée, ou plus exactement déformée, par leurs propres rabbins - qui les guide.
En imposant des sanctions à quelques colons, Joe Biden indique clairement aux autorités israéliennes que si les institutions financières du pays ne respectent pas les sanctions et ne gèlent pas les comptes bancaires des individus concernés, elles se retrouveront en collision avec les autorités bancaires américaines.
Les colons, en particulier ceux de la mouvance ultra-nationaliste-religieuse-messianique, ont toujours cru que la divinité les guidait vers l'annexion de la Cisjordanie, et leur accordait le droit d'opprimer les Palestiniens et les forcer à s'installer dans d'autres pays.
Le fait qu'ils se retrouvent aujourd'hui au cœur d'un gouvernement israélien a renforcé l'arrogance de ces colons, ce qui les a amenés à croire qu'ils sont libres de harceler et de nuire aux Palestiniens sans conséquences. Ce sentiment de suprématie invincible et leur désir de vengeance se sont encore accentués à la suite des attentats du 7 octobre perpétrés par le Hamas.
Non seulement leur volonté de poursuivre leurs propres activités terroristes s'est trouvée justifiée, mais ils ont également saisi l'occasion, alors que l'attention du pays était concentrée sur Gaza ou le Hezbollah, d'intensifier leurs agressions contre les Palestiniens.
Les forces de sécurité n'ont pas fait grand-chose pour les arrêter, principalement parce qu'à la tête du processus décisionnel israélien se trouve actuellement un Premier ministre faible et sans scrupules qui n'ose pas affronter les colons extrémistes car il a désespérément besoin de conserver le soutien de leurs représentants à la Knesset et au Cabinet, afin de préserver sa coalition. Personne n'a plus peur d'une nouvelle élection générale que Netanyahou lui-même.
En l'absence de toute boussole morale ou pratique au sein du gouvernement, c'est à Washington qu'il revient d'en fournir une, d'autant plus qu'il se trouve profondément impliqué dans d'autres conflits régionaux exacerbés par la guerre à Gaza.
Alors que Netanyahou continue d'agir de la manière la plus manipulatrice et la plus évasive qui soit dans ses efforts pour parvenir à un accord de cessez-le-feu en vue de la libération d'otages et d'échanges de prisonniers, et plus encore en ce qui concerne les perspectives d'une solution à deux États, c'est au président Biden qu'il revient de tenter de le maîtriser, non seulement dans l'intérêt des Palestiniens, mais aussi dans celui d'Israël et des États-Unis.
Imposer des sanctions à quatre colons est un pas dans la bonne direction, et un avertissement à plusieurs membres du Cabinet qu'ils pourraient être les prochains s'ils ne mettent pas fin à leurs incitations à la violence. Il fallait s'attendre à la levée de boucliers des politiciens d'extrême droite. Mais la décision rapide des banques israéliennes de se conformer aux sanctions et de geler les comptes des colons sanctionnés a envoyé un avertissement clair : le plus proche allié d'Israël ne tolérera plus la violence des colons.
Il reste à voir si l'administration Biden est prête, surtout en cette année d'élection présidentielle, à aller plus loin en utilisant ses pouvoirs financiers et d'autres outils économiques et politiques, non pas pour nuire à Israël ou l'affaiblir, mais pour l'amener sur la voie de la paix et l'éloigner de la voie de l'autodestruction, en prenant des mesures pour empêcher les voyous politiques de dicter les politiques israéliennes.
Pour une fois, il y a une lueur d'espoir dans ce domaine.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord au sein du groupe de réflexion sur les affaires internationales Chatham House.
X : @YMekelberg
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com