Les anciens équilibres maintiennent la région dans un cercle vicieux

L'envoyé américain Amos Hochstein, après sa rencontre avec le président du Parlement libanais Nabih Berri, à Beyrouth, le 11 janvier 2024. (Reuters)
L'envoyé américain Amos Hochstein, après sa rencontre avec le président du Parlement libanais Nabih Berri, à Beyrouth, le 11 janvier 2024. (Reuters)
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Publié le Samedi 10 février 2024

Les anciens équilibres maintiennent la région dans un cercle vicieux

Les anciens équilibres maintiennent la région dans un cercle vicieux
  • Une nouvelle proposition américaine visant à empêcher toute escalade entre le Hezbollah et Israël s’inspire de l'accord d'avril 1996 qui avait mis fin à l’opération israélienne Raisins de la colère
  • Si l’accord de 1996 est toujours en vigueur, la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU, elle, n’a jamais été mise en application

Selon certaines informations, l'envoyé américain Amos Hochstein devrait bientôt se rendre au Liban et soumettre une proposition visant à empêcher toute nouvelle escalade entre le Hezbollah et Israël, inspirée par l'accord d'avril 1996 qui avait mis fin à l’opération israélienne Raisins de la colère au Liban-Sud. La réalité est que cet accord existe toujours, et c’est justement ce qui permet de contenir le conflit au sud du pays. En fait, on pourrait même se demander: s’il n’est pas rompu, pourquoi le rectifier à nouveau?

Le Liban en tant que pays est fracturé, voire déchiré, tout comme la situation actuelle. Mais l’accord d’avril et les règles d’engagement de 1996 entre le Hezbollah et Israël, instaurés lors du premier mandat de Rafic Hariri en tant que Premier ministre, sont toujours en vigueur. Aujourd’hui, cet accord influence également  la manière dont se déroulent les accrochages sur le territoire syrien. Ainsi, on pourrait se demander s’il existe un risque que cette guerre se transforme en une guerre régionale, passant de la frontière libano-israélienne à un conflit ouvert, comme la guerre de 2006 par exemple?

En bref, la réponse est que ce qui se passe à la frontière ne sera pas la cause de cette escalade. Cela ne pourrait se produire que si les règles qui ont été mises en place étaient enfreintes, ce que le Hezbollah ne fera que si Téhéran lui en donne l’ordre. Pour mémoire, en 2006, Hassan Nasrallah n'avait pas respecté les arrangements établis, et le Liban dans son ensemble en avait payé un lourd tribut. Ses récents discours, qui peuvent être trompeurs, semblent cette fois indiquer une adhésion totale aux règles.

Ainsi, si l’on revient à l’accord d’avril, dont le but était d’établir un cadre visant à prévenir l’intensification des hostilités entre Israël et le Liban, en créant des règles d’engagement, on peut aisément constater qu’il est toujours en vigueur. Il comprenait des dispositions pour la cessation des hostilités, des mesures visant à améliorer la situation sécuritaire le long de la frontière israélo-libanaise, ainsi qu’un accord sur le déploiement au Liban d'observateurs internationaux de la Force intérimaire des Nations unies (Finul). Inutile de dire que cela a donné du pouvoir au Hezbollah et accru son emprise sur la frontière et sur la politique libanaise.

Ainsi, toute nouvelle proposition dans le même esprit pourrait être qualifiée de «pansement sur une blessure par balle», et une perte de temps, de ressources et d’actions diplomatiques. Aucune décision d’escalade ne sera prise à la frontière. Elle sera prise à Téhéran. Cependant, il est indéniable que les affrontements en cours à la frontière libano-israélienne depuis le début de la guerre entre le Hamas et Israël ont entraîné des pertes civiles, des déplacements de population, et des tensions. Mais la véritable solution pour la paix et la stabilité dans la région est ailleurs – et tout le monde le sait très bien.

C’est un tout autre sujet qui ne figure pas aujourd’hui sur l’agenda diplomatique mondial, mais ce qui pourrait réellement régler le problème du Liban et apporter une stabilité à long terme à la frontière est l’un des scénarios qui pourrait conduire à une guerre totale. En effet, même si l’accord de 1996 est toujours en vigueur, la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU n’a jamais été mise en application. Cette résolution, qui a mis fin à la guerre de 2006, nécessite que le secrétaire général de l'ONU élabore des propositions pour mettre en application les dispositions adoptées dans l’accord de Taëf, ainsi que les résolutions 1559 (2004) et 1680 (2006) du Conseil de sécurité de l'ONU. En bref, elle appelle au désarmement de toutes les milices armées au Liban, y compris le Hezbollah.

Et l’on comprend clairement la triste situation du Liban, car la mise en application de cette résolution est exactement ce qui pourrait entraîner que les accrochages frontaliers se transforment en un véritable conflit. Ainsi, les diplomates étrangers perdent leur temps à modifier les règles de conduite établies, tout en condamnant le Liban à la désolation, en subissant le contrôle du Hezbollah.

Alors que nous constatons une intensification des autres zones de conflit entre les États-Unis et l’Iran au Moyen-Orient, elles sont toutes, pour l’instant, dans des silos séparés. En d’autres termes, chaque zone ou point de conflit respecte et obéit à ses propres règles d’engagement, que ce soit au niveau maritime, terrestre ou aérien. Il existe cependant un scénario dans lequel l’escalade des tensions dans l’une de ces zones pourrait inciter Téhéran à réagir par l’intermédiaire du Hezbollah.

Cela n’est pas de mise pour le moment mais ne peut être exclu, surtout lorsque l’on sait et l’on comprend que c’est là le principal et unique objectif du Hezbollah: être à la fois la première et la dernière ligne de défense de l’Iran. Il est également clair que, comme nous sommes dans une année électorale aux États-Unis, il existe une ligne rouge que personne ne franchira, tout simplement parce que tout le monde estime que ces élections pourraient apporter de meilleurs résultats qu’un véritable conflit. Néanmoins, des erreurs – parfois volontaires – se produisent, et peuvent provoquer une aggravation de la situation.

Le conflit frontalier ne s’étendra que si les règles sont enfreintes, ce que le Hezbollah ne fera que si Téhéran le lui ordonne

Khaled Abou Zahr

Nous comprenons ainsi clairement que la cause la moins plausible de l’escalade du conflit vers en guerre régionale est en réalité le lieu où se déroule le conflit. Cela souligne une fois de plus à quel point le Liban s’est enraciné et empêtré dans le système défaillant qui maintient la stabilité, ou du moins son apparence. Ce sont ces équilibres historiques qui ont privé le pays de sa propre capacité de prise de décision, et maintenu la région dans un cercle vicieux.

Néanmoins, il existe un hic dans les nouveaux arrangements proposés, qui révèle que les diplomates étrangers, tout en essayant de gagner du temps, ont décidé que le régime syrien n’était plus un intervenant majeur dans ce jeu frontalier avec Israël. Leurs actions et propositions visant à mettre un terme au conflit l’indiquent clairement. Cependant, penser qu’ils peuvent retirer à Damas cette carte dans le jeu de poker libanais est un pari risqué. Le régime est affaibli et n’a plus le même pouvoir qu’en 1996 ou 2006, mais il ne renoncera pas facilement à toutes ses cartes. Ne pas être prêt à cette éventualité pourrait être la raison ultime d’une explosion du conflit.

 

  • Khaled Abou Zahr est le fondateur de SpaceQuest Ventures, une plate-forme d'investissement axée sur l'espace. Il est directeur général d'EurabiaMedia, et rédacteur en chef d'Al-Watan Al-Arabi.     

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com