DAKAR: Un collectif de groupes de la société civile a appelé jeudi les Sénégalais à manifester massivement et à faire grève contre le report de la présidentielle, alors que le président Macky Sall cherche à calmer les esprits face au tollé.
Une nouvelle plateforme, Aar Sunu Election ("Protégeons notre élection"), qui revendique une quarantaine de groupes citoyens et religieux et d'organisations professionnelles, dont plusieurs syndicats de l'éducation, a appelé les Sénégalais à "se mobiliser en masse" contre ce qui a été décrit devant la presse comme une "forfaiture".
Les représentants des groupes ont évoqué dans une salle trop petite pour accueillir tous les journalistes une manifestation mardi, une grève générale à une date non précisée et un débrayage dans les écoles vendredi.
Le collectif appelle les fidèles à se rendre à la grande prière musulmane du vendredi vêtus de blanc et des couleurs nationales.
Rien ne permet de dire dans quelle mesure ces appels seront suivis. Comme sonnée par le décalage à la dernière minute de l'élection du 25 février au 15 décembre, la société civile et l'opposition cherchent à organiser la riposte.
Le report de l'élection, qui semble ramener le Sénégal à la case départ d'un processus électoral périlleux et dont la constitutionnalité est vivement mise en doute, a causé une indignation largement partagée.
L'opposition crie au "coup d'Etat constitutionnel". Elle soupçonne une manigance pour éviter la défaite du candidat du camp présidentiel, voire pour maintenir M. Sall à la tête du pays encore plusieurs années.
Mais le choc s'est à peine matérialisé ailleurs que sur les réseaux sociaux. Des tentatives de manifestations ont été réprimées et des dizaines de personnes interpellées.
Les manifestations sont soumises à l'autorisation de l'administration qui, selon les défenseurs des droits, a interdit presque systématiquement celles de l'opposition ces dernières années.
Des dizaines de personnes ont été tuées et des centaines arrêtées depuis 2021 lors de différents épisodes de contestation.
Logique interne
Le président Sall a décrété samedi le report de la présidentielle, trois semaines seulement avant l'échéance, en pleine bagarre politique sur les candidatures retenues ou écartées pour le scrutin.
L'Assemblée nationale a approuvé lundi un ajournement au 15 décembre, avec les voix du camp présidentiel et des partisans d'un candidat recalé et sous la protection des gendarmes.
Elle a aussi voté le maintien de M. Sall au pouvoir jusqu'à la prise de fonctions de son successeur, vraisemblablement début 2025. Le deuxième mandat de M. Sall expirait officiellement le 2 avril.
Après avoir entretenu le doute pendant des mois, il a répété à différentes reprises, et encore mercredi soir, l'engagement pris en 2023 de ne pas se représenter.
Les autorités n'ont donné aucun signe d'être prêtes à reconsidérer le report malgré la bronca.
Face à l'une des plus graves crises politiques des dernières décennies, le président Sall a dit mercredi en conseil des ministres sa volonté d'engager un processus "d'apaisement et de réconciliation", rapporte un communiqué de ses services.
Il a "demandé au gouvernement, notamment (à la) ministre de la Justice de prendre les dispositions nécessaires pour matérialiser sa volonté de pacifier l'espace public", ajoute le communiqué sans autre précision.
Le président Sall fait face au même moment aux pressions internationales.
La Communauté des Etats ouest-africains (Cedeao) a réuni au Nigeria les ministres des Affaires étrangères des Etats membres, et le Sénégal, réputé comme un des bons élèves de l'organisation, figurait pour la première fois depuis longtemps au menu de crise au côté des Etats sécessionnistes, Burkina Faso, Mali, Niger.
La Cedeao a demandé mardi au Sénégal de rétablir "de toute urgence" le calendrier de la présidentielle.
L'Union européenne, s'alignant sur la Cedeao, a à son tour appelé à revenir au 25 février. Un autre allié, les Etats-Unis, a jugé illégitime le vote ajournant l'élection.
Ces partenaires du Sénégal ont exprimé leur inquiétude devant le risque de troubles, mais aussi devant le coup porté à la pratique démocratique dont le Sénégal est volontiers cité comme un exemple dans une région où se succèdent les putschs et les faits accomplis.
"Nous entendons bien ce message", a dit mercredi soir depuis le Nigeria le ministre des Affaires étrangères Ismaïla Madior Fall à la télévision française France 24, "mais nous privilégions aujourd'hui la logique politique interne".