BERLIN: Cheminots, conducteurs de bus, agents aéroportuaires ... Les grèves se succèdent à un rythme effréné en Allemagne, sur fond d'inflation, de manque de main d'oeuvre et de récession qui limite les marges des entreprises.
Mercredi, c'est au tour du personnel au sol de la compagnie Lufthansa de débrayer pour 24h00.
Ces mouvements mettent à mal l'image d'un pays traditionnellement champion du compromis entre patronat et syndicats.
Qui fait grève ?
Ces conflits sociaux interviennent lors des négociations tarifaires organisées au sein de chaque branche d'activité.
Fin janvier, une grève des conducteurs de la Deutsche Bahn a duré cinq jours, tandis que les transports locaux se sont arrêtés une journée en février dans tout le pays.
La veille, un mouvement des agents de sécurité des grands aéroports avait conduit à l'annulation de 1 100 vols.
Mais cette mobilisation a débuté l'an dernier avec des grèves dans la sidérurgie, la fonction publique, la santé, le ramassage des ordures ...
Depuis l'invasion de l'Ukraine, l’Allemagne a connu des niveaux d'inflation inédits depuis les chocs pétroliers des années 1970.
De nombreux secteurs ont certes reçu l'an dernier des hausses de rémunérations allant jusqu'à 10%, mais les salaires réels ont chuté en moyenne de 4% en Allemagne depuis début 2022, selon les statistiques officielles.
Le dialogue social est-il grippé ?
"Les salariés ont ressenti fortement les baisses de salaires, ils ont concrètement eu moins d'argent dans le porte-monnaie", explique Alexander Gallas, professeur de sciences politiques à l'Université de Kassel.
Parallèlement, les syndicats bénéficient d'un pouvoir de négociation grandissant, alors que le manque de main d'oeuvre s'accélère en Allemagne, pays vieillissant.
Et "puisqu'il y a moins de main d'oeuvre, la charge de travail s'accroît dans les entreprises", ce qui ajoute au malaise de nombreux salariés, ajoute M. Gallas.
Les revendications des syndicats portent autant sur des augmentations de salaires que sur de meilleures conditions de travail, comme la semaine de quatre jours.
Ces demandes se heurtent "au fait que les entreprises n'ont pas grand chose à distribuer", alors que l'Allemagne traverse une période de morosité économique, explique Hagen Lesch, expert de l'institut économique IW.
La situation est-elle exceptionnelle ?
Cette conflictualité bouleverse les habitudes, dans un pays réputé pour la qualité de son dialogue social, où l'accent est mis sur les négociations entre acteurs.
"Le modèle allemand vit son heure de vérité", affirme M. Lesch, car "la capacité de concession a été élevée de la part des syndicats pendant le Covid et c'est maintenant terminé".
L'Allemagne compte parmi les pays les moins grévistes en Europe. Entre 2012 et 2021, le nombre de jours non travaillés en raison de grèves pour 1 000 salariés s'est élevé à 18 par an en moyenne, contre 92 en France.
Mais le modèle s'est grippé ces dernières années, avec une augmentation continue des conflits.
"Dans les années 2000 il y a eu très peu de grèves. Cela a changé à partir de 2015 et s'est accéléré en 2023-2024 même si nous n'avons pas encore de chiffres", dit M. Gallas.
En cause? "La précarisation du marché de l'emploi qui a individualisé le parcours des salariés", explique le chercheur.
Les conventions collectives, outil privilégié du dialogue, n'ont cessé de perdre du terrain, ne concernant désormais que 43% des salariés, contre 56% en 2010.
Cette évolution affaiblit les syndicats, davantage tentés de faire grève pour se faire entendre, notamment en période de crise.
La mobilisation va-t-elle se poursuivre ?
Aucune négociation n'a abouti dans les transports, ce qui pourrait conduire à la poursuite de certains mouvements.
"Tout peut arriver", a prévenu Claus Weselsky le patron de la GDL, syndicat des conducteurs de trains de la Deutsche Bahn.
D'autant que les grèves actuelles sont très suivies.
"On remarque une forte participation, qui se traduit par une augmentation des adhérents pour les syndicats", selon Thorsten Schulten, chercheur à l'institut économique et social WSI.
D'autres branches pourraient également sortir du bois. La chimie, en crise depuis la guerre en Ukraine, doit entamer au printemps des négociations tarifaires à haut risque.
Au risque d'aboutir à une forme de grève générale sur le modèle français dans les prochains mois ? "Ce n'est pas la tradition allemande", tempère M. Schulten.