La nouvelle crise du Moyen-Orient, qui est allée à la «clinique Guterres», est revenue avec une déception internationale. La Russie, engagée dans la guerre en Ukraine, n’est pas un médecin efficace, malgré sa présence militaire en Syrie. La médecine chinoise n’est pas le traitement approprié pour ce type de maladie. L’Europe, effrayée sur ses frontières, ne peut rassurer les autres. Il ne reste que le chirurgien américain, malgré les observations sur ses méthodes de diagnostic, d'anesthésie et de sutures.
Il y a dix ans, l’Amérique laissait entendre qu’elle se retirait de l’épineux Moyen-Orient. Qui l'avait épuisée et lassée. Washington avait déclaré que son importance avait diminué et que ce n’était pas le théâtre d’un «grand combat». Les priorités ont changé. Le premier souci de l’Amérique est d’empêcher la naissance d’une ère chinoise, ou du moins d’en retarder la naissance. Mais le Moyen-Orient ne peut être oublié. C'est une terre de richesses, de chemins et de conflits qui dépassent parfois ses propres frontières. Aujourd’hui, les États-Unis sont impliqués dans la région et sont appelés à éteindre l’incendie actuel, dont les étincelles frappent les bases américaines en Irak et en Syrie, ainsi que les pétroliers en mer Rouge.
La poursuite du massacre à Gaza coûte cher aux pays de la région et à l’économie mondiale. Cela coûte également cher aux intérêts et à l’image de l’Amérique, à une époque où elle est ballotée par les vents des élections. Une fois de plus, le chef américain est indispensable, malgré l'inquiétude quant à ses repas, et les doutes sur la déontologie dans sa préparation des ingrédients.
Le 7 octobre, le Hamas, sous la direction de Yahya Sinwar, a porté un coup sans précédent à Israël. Cette attaque, qui a révélé la fragilité de la sécurité d’Israël et la négligence au sein de ses institutions, a ébranlé l’image de son armée et de ses organismes de sécurité, et a semé la terreur parmi les colonies et les colons. Ce tremblement de terre a nécessité l’implication de l’Amérique. Elle est venue avec son président, ses navires et ses munitions. La participation de ses envoyés aux réunions du gouvernement de guerre est devenue monnaie courante. Les États-Unis ont mis tout leur poids et leurs ressources dans la balance, et Benjamin Netanyahou a lancé une guerre dévastatrice qui a submergé Gaza de décombres de maisons et de corps d’enfants.
«Blinken est aux prises avec une région complètement différente de celle dans laquelle croisaient les précédents médiateurs américains»
Ghassan Charbel
L’Amérique a largement donné aux dirigeants politiques et militaires israéliens l’opportunité de remporter la victoire. Mais le temps des frappes meurtrières israéliennes est terminé, car le théâtre et la nature de la guerre à Gaza sont différents. Aujourd’hui, au quatrième mois de ce conflit, la seule question qui se pose est la suivante: qui peut arrêter la guerre, dont la poursuite dépasse la capacité de résistance de la région?
La scène aurait pu être différente si la guerre s’était étendue dès ses premières heures, si le Hezbollah s’était engagé de toutes ses forces à partir du front libanais, si le front du Golan s’était embrasé, et si des missiles iraniens avaient été lancés depuis le territoire iranien lui-même, et non depuis le Yémen.
Le scénario du grand effondrement – dans la crainte duquel l’Amérique avait envoyé sa flotte – ne s’est pas produit. Dès le lendemain, le Hezbollah a débuté une guerre de diversion, tandis que les missiles des Houthis ont remplacé une confrontation totale et ouverte à la frontière libano-israélienne.
Les derniers mois ont montré qu’on ne pouvait pas compter sur l’ONU pour arrêter la guerre. Ces derniers jours ont démontré que l’intensification de la condamnation internationale du massacre à Gaza, la démarche de la Cour internationale de Justice(CIJ) et les tensions qui règnent au sein des instances décisionnelles occidentales sont autant de facteurs importants, mais ils ne peuvent pas arrêter la guerre. Seule l’Amérique peut conduire à des mesures en ce sens. Sans Washington, Israël ne peut pas poursuivre son attaque. Sans les États-Unis, il n’est pas possible de cristalliser un horizon politique qui justifierait le retour du Hamas de la guerre, ou le forcerait à en sortir.
Un plan global de solution n’a pas encore pris forme malgré les tournées d’Antony Blinken et les messages de William Burns. Blinken est aux prises avec une région complètement différente de celle dans laquelle naviguaient les précédents médiateurs américains. Dans le passé, il suffisait de convaincre les dirigeants des pays concernés de parvenir à un accord pour mettre en œuvre leurs décisions. Il existe aujourd’hui de nouvelles réalités dans la région, et dans certaines parties de celle-ci, les gouvernements se trouvent mélangés à des factions ou résident sous leur autorité. Il y a l’Iran et son rôle dans le lancement de l’ère des factions selon quatre cartes.
«Il est clair que la mission du médiateur américain n’est rien d’autre que de distribuer du poison aux différentes parties»
Ghassan Charbel
Ceux qui ont suivi les mouvements diplomatiques américains parlent des idées entendues par les médiateurs. Ils parlent d’une décision israélienne de ne pas arrêter la guerre, sauf dans le contexte d’un règlement garantissant la libération des otages et la sortie complète de la bande de Gaza de la confrontation, afin qu’elle ne constitue pas une menace pour Israël. Cela signifie que le Hamas ne sera plus l'autorité à Gaza et que les visages du 7 octobre ne referont plus surface dans l’enclave.
D’un autre côté, la partie palestinienne exige un dispositif spécifique visant à lancer la solution à deux États, ainsi que le «blanchiment» des prisons israéliennes, c'est-à-dire la libération des prisonniers palestiniens. Certains proposent que le Hamas devienne un mouvement politique et fasse partie de la scène palestinienne. Les observateurs parlent d’idées visant à restructurer l’Autorité palestinienne, afin de passer à «une autre génération et une autre mentalité», avec «un certain rôle arabe dans la phase suivant le cessez-le-feu, tout en garantissant le retrait israélien de l’ensemble de la bande de Gaza».
Ce rôle peut prendre la forme d'observateurs, d'experts ou de conseillers qui vérifieront le retrait israélien et garantiront que les causes du conflit ne se reproduiront pas.
Il est clair que la mission du médiateur américain n’est rien d’autre que de distribuer du poison aux différentes parties. Netanyahou ayant passé son long règne à assassiner l’idée d’un État palestinien, comment pourrait-il la rendre possible aujourd’hui? Le Hamas ayant déclenché le tremblement de terre d’octobre, comment pourrait-il accepter de renoncer au pouvoir alors que la guerre ne l’a pas encore dépouillé de ses missiles et de ses tunnels?
Comment le président Mahmoud Abbas, qui a maintenu l’AP tout juste en vie malgré les agissements de Netanyahou et le divorce avec le Hamas, peut-il accepter des idées qui ont une odeur d’adieu? De plus, Netanyahou considère qu’un État palestinien est bien plus dangereux que l’opération du Déluge d’Al-Aqsa. Sinwar sait que la création d’un État palestinien est conditionnée à la reconnaissance d’Israël et aux garanties internationales pour Tel-Aviv.
Pour Netanyahou, créer un État signifierait boire du poison. Pour Sinwar, reconnaître Israël signifierait aussi avaler le venin. Comment le cuisinier américain pourra-t-il distribuer les doses de poison à des belligérants qui sont allés aussi loin? Sans oublier que la création d’un État palestinien signifierait également le retrait de la carte palestinienne de l’Iran et de ce qu’on appelle «l’Axe de la Résistance» – un retrait qui fut l’une des raisons de l’écroulement des accords d’Oslo.
Ghassan Charbel est rédacteur en chef du journal Asharq Al-Awsat.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com