LONDRES : Après un demi-siècle d'intégration européenne et quatre ans et demi d'une saga du Brexit aux multiples rebondissements, le Royaume-Uni vit jeudi ses dernières heures au rythme des règles européennes et entame une nouvelle page de son histoire dans un contexte de crise profonde.
À 23H00 locales et GMT (minuit à Bruxelles), marquées par les gongs de Big Ben, le Brexit deviendra réalité pour le pays, sorti officiellement de l'UE le 31 janvier mais ayant bénéficié d'une période de transition pour amortir le choc.
« La destinée de ce grand pays réside à présent fermement entre nos mains », a souligné mercredi soir le Premier ministre Boris Johnson.
C'est « un nouveau commencement pour l'histoire » du Royaume-Uni et « une nouvelle relation avec l'UE comme leur plus important allié », a ajouté le grand artisan de cette sortie, après la ratification express mercredi par le Parlement britannique de l'accord de libre-échange signé le jour même par Bruxelles et Londres.
Si le déploiement d'un nouveau vaccin anti-Covid éclipse le grand saut dans la presse britannique jeudi, le Daily Mail évoque « deux bonds géants vers la liberté », le Sun se réjouit que le Brexit soit « finalement réalisé » et The Times y voit un « au revoir à tout ça ».
L'accord commercial conclu in extremis évite une rupture trop abrupte et ses conséquences potentiellement dévastatrices pour l'économie, mais la libre circulation permettant aux marchandises comme aux personnes de passer sans entrave la frontière prendra fin.
Exportateurs et importateurs devront remplir des déclarations de douanes et risquent de voir leurs marchandises ralenties à la frontière par les contrôles. Les entreprises de la finance, secteur majeur à Londres, perdront leur droit automatique d'offrir leurs services dans l'UE. Et les universités britanniques ne seront plus éligibles au programme d'échanges pour étudiants Erasmus.
Devant les députés mercredi, Boris Johnson a émis l'espoir que ce cap permette de « passer à autre chose ». La tâche s'annonce délicate : les milieux économiques n'ont pas caché leurs craintes quant aux conséquences de ce bouleversement et les Britanniques sortent meurtris d'une période clivante.
Jour « triste »
Depuis le référendum du 23 juin 2016, remporté à 51,9% par le « leave », il aura fallu trois Premiers ministres, des heures de houleux débats parlementaires nocturnes à Westminster et trois reports avant que le Royaume-Uni ne largue les amarres pour de bon.
À l'image de ce processus douloureux, ce n'est que la veille de Noël que les laborieuses négociations ont fini par aboutir à un accord commercial, ne laissant que quelques jours pour mettre en œuvre ses 1 246 pages.
S'il a été adopté mercredi par le Parlement britannique, les eurodéputés ne se prononceront qu'au premier trimestre 2021, nécessitant une application provisoire.
« Un pays quitte l'UE pour la première fois après plus de 45 ans de vie commune (...) mais il faut se porter vers l'avenir » malgré ce jour « triste », a commenté sur la chaîne LCI le secrétaire d'État français aux Affaires européennes, Clément Beaune.
Au grand soulagement de pans entiers d'économies très connectées, l'UE offre au Royaume-Uni un accès sans droits de douane ni quotas à son marché de 450 millions de consommateurs. Mais il prévoit pour éviter toute concurrence déloyale des sanctions et des mesures compensatoires en cas de non-respect de ses règles en matière d'aides d'État, d'environnement, de droit du travail et de fiscalité.
Concernant la pêche, sujet difficile jusqu'aux dernières heures, l'accord prévoit une période de transition jusqu'en juin 2026, à l'issue de laquelle les pêcheurs européens auront progressivement renoncé à 25% de leurs prises. Un résultat qui a profondément déçu les pêcheurs britanniques, fers de lance du Brexit qui espéraient plus des promesses d'indépendance et de souveraineté retrouvée martelées par Boris Johnson.
Défi de rassembler
Malgré ses critiques envers un accord commercial qu'il juge insuffisant, Keir Starmer, le chef de l'opposition travailliste, s'est voulu optimiste, estimant que « nos meilleures années restent à venir ».
C'est donc une victoire pour Boris Johnson, triomphant dans les urnes sur la promesse de réaliser le Brexit mais depuis mis en difficulté par la pandémie de la Covid-19, avec des hôpitaux au bord de la rupture et une flambée des contaminations. Une grande partie de la population a été reconfinée, assombrissant encore les perspectives pour une économie frappée par sa pire crise en 300 ans.
Au-delà de la pandémie, les défis sont considérables pour le gouvernement de Boris Johnson, qui a promis de donner au Royaume-Uni une nouvelle place dans le monde, résumée par le slogan « Global Britain ».
Il s'apprête cependant à perdre un allié de poids avec le départ de Donald Trump, fervent partisan du Brexit remplacé à la Maison Blanche par le démocrate Joe Biden, plus europhile.
À l'intérieur, il doit rassembler des Britanniques qui se sont déchirés sur le Brexit, au point de voir l'unité du pays se fissurer, l'Irlande du Nord et l'Ecosse, qui rêvent d'indépendance, ayant voté en majorité contre la sortie de l'UE.