Israël accusé de génocide à Gaza

L’affaire portée par l’Afrique du Sud constitue un acte d’accusation brutal contre les actions israéliennes à Gaza. Le monde devrait avoir honte de son inaction. (AFP).
L’affaire portée par l’Afrique du Sud constitue un acte d’accusation brutal contre les actions israéliennes à Gaza. Le monde devrait avoir honte de son inaction. (AFP).
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Publié le Mardi 09 janvier 2024

Israël accusé de génocide à Gaza

 Israël accusé de génocide à Gaza
  • Si la Cour internationale de justice rejette l’acte d’accusation sud-africain, Israël revendiquera la victoire et se posera comme la victime d’une grande conspiration antisémite
  • Si la Cour accepte ces arguments, la Cour pénale internationale pourrait se sentir soumise à une plus grande pression pour rendre ses propres verdicts

Le terme «génocide» a été largement débattu à propos de l’attaque israélienne contre Gaza. Parmi ceux qui ont porté cette grave accusation figurent d’éminentes personnalités juridiques, des experts en génocide et des responsables de l’Organisation des nations unies (ONU). Peu d’accusations pourraient être plus graves.

Le bien-fondé de cette accusation sera évalué cette semaine lors d’audiences publiques à la Cour internationale de justice (CIJ), le principal organe judiciaire de l'ONU.

L’Afrique du Sud a engagé une procédure contre Israël le 29 décembre. Elle fait valoir que la Convention sur le génocide de 1948 fait obligation aux États parties, dans l’article 1, «de prévenir et de punir le crime de génocide». L’Afrique du Sud cherche à remplir cette obligation. Combien d’autres États soutiendront sa cause? La Turquie et la Jordanie ont officiellement soutenu l’Afrique du Sud, tout comme l’Organisation de la coopération islamique (OCI).

Il s’agit d’un rapport accablant de quatre-vingt-quatre pages élaboré par d’éminents avocats. Même s’il s’avère qu’il ne franchit pas tout à fait la limite du génocide fixée par la Cour, il s’agit d’un acte d’accusation brutal contre les actions israéliennes à Gaza. Le monde devrait avoir honte de son inaction. Israël, comme à son habitude, a répondu avec fureur. Un porte-parole a même qualifié l’affaire portée par l’Afrique du Sud de «diffamation absurde».

Le seuil d’accusation de génocide est élevé. C’est une accusation beaucoup plus difficile à faire valoir que les crimes de guerre, qui sont traités par la Cour pénale internationale (CPI).

«L’affaire portée par l’Afrique du Sud constitue un acte d’accusation brutal contre les actions israéliennes à Gaza. Le monde devrait avoir honte de son inaction.» - Chris Doyle

Il s’agit de la première étape. La Cour a réagi rapidement puisqu’elle a le pouvoir d’exiger des mesures préliminaires pour arrêter ou empêcher qu’un génocide ne se produise si elle détermine que cela est «plausible». Il s’agit d’un seuil bien inférieur à celui qui sera adopté lorsque le tribunal rendra sa décision finale sur la question de savoir si Israël a commis un génocide – un processus qui prend généralement près de quatre ans. Dans le cas de la Bosnie, le tribunal a travaillé de 1993 à 2007, on comprend donc pourquoi il ressent le besoin de tirer cette première conclusion.

Existe-t-il des précédents? L’action en justice intentée par la Gambie contre le Myanmar en est un exemple. En 2022, le tribunal a reconnu que la Gambie avait qualité pour agir et a ordonné au Myanmar d’empêcher que des actes de génocide soient commis contre les Rohingyas. Cette décision était révolutionnaire. Elle signifiait qu’un État partie à un traité protégeant des droits légaux communs pouvait faire valoir ces droits même s’il n’était pas directement affecté par la violation. En mars 2022, la CIJ a ordonné à la Russie de mettre fin à son offensive en Ukraine – une ordonnance censée être juridiquement contraignante. Moscou en a fait fi.

Israël et l’Afrique du Sud ont ratifié la Convention sur le génocide. Il ne devrait y avoir aucune question de compétence, même si Tel-Aviv peut contester ce point. Un argument israélien pourrait être que les Palestiniens de Gaza ne constituent pas un groupe national, ethnique, racial ou religieux aux fins de la convention. Il ne peut présenter une quelconque justification, car il n’existe aucun argument juridique, et encore moins moral, pour justifier un génocide. Tous ces arguments seraient un moyen de contourner l’accusation de génocide – qui n’a rien d’un soutien aux actions israéliennes.

L’Afrique du Sud a-t-elle présenté un dossier solide? Aucune demande ne peut être irréfutable. L’argument est qu’Israël est coupable à la fois par son intention et par sa conduite. La question de l’intention de commettre un génocide constitue généralement une pierre d’achoppement. Les régimes qui l’ont fait dans le passé étaient rarement assez fous pour annoncer publiquement leur intention. Mais l’Afrique du Sud affirme qu’Israël a violé la Convention sur le génocide en ne réprimant pas «l’incitation directe et publique à commettre le génocide».

Les dirigeants israéliens, y compris le président, le Premier ministre et le ministre de la Défense, ont été étonnamment audacieux dans leurs déclarations génocidaires, comme je l’ai déjà évoqué. Les membres de la Knesset évoquent régulièrement la nécessité que Gaza soit «anéantie», «aplatie», «effacée» et «écrasée». Le tribunal ne déterminera pas la responsabilité individuelle, mais ces déclarations ont été cruciales pour déterminer la politique israélienne.

«Le rapport mentionne non seulement ce qu’Israël a fait à Gaza depuis le 7 octobre, mais aussi ses politiques antérieures.»

- Chris Doyle

Quant à la conduite d’Israël, l’acte d’accusation sud-africain est détaillé de cinq cent soixante-quatorze notes de bas de page. Le rapport mentionne non seulement ce qu’Israël a fait à Gaza depuis le 7 octobre, mais aussi ses politiques antérieures, y compris le blocus imposé à la bande de Gaza qui dure depuis seize ans et l’occupation qui dure depuis cinquante-six ans, faisant des Palestiniens une population extrêmement vulnérable. L’acte d’accusation montre que le comportement israélien vise à rendre Gaza inhabitable.

Le rapport souligne également comment Israël a tenté, depuis le 7 octobre, de priver la population civile des biens indispensables à sa survie au moyen d’un «siège total» et du ciblage d’infrastructures civiles essentielles. Il montre comment Israël a détruit plus de trois cent cinquante-cinq mille maisons palestiniennes. Il cite le déplacement forcé de 85% de la population. L’attaque israélienne généralisée contre les soins de santé à Gaza est un autre élément décisif.

Que se passe-t-il si le tribunal détermine qu’il existe des «motifs plausibles» qu’un génocide est en cours? Il peut ordonner des mesures préventives qui sont, en théorie, contraignantes. L’Afrique du Sud propose neuf actions très spécifiques, dont la cessation de toutes les actions militaires israéliennes à Gaza.

Israël ignorerait de telles conclusions, mais cette démarche pourrait vivement l’ébranler. Cela inciterait-il l’opinion publique israélienne, sans parler de la classe politique, à faire le point sur ce qui se passe à Gaza ou, plus précisément, sur ce que font les forces militaires?

L'impact le plus grave pourrait concerner les alliés d'Israël. Les États qui ont armé Israël ou facilité son armement rejetteront l’accusation selon laquelle Tel-Aviv commet un génocide, mais ils seront ébranlés par une telle conclusion. Dirigeants et responsables pourraient se retrouver dans une situation judiciaire délicate pour cause de complicité. C’est pourquoi les États-Unis se sont empressés de condamner le document. Un porte-parole américain a qualifié les accusations d’«injustifiées, contre-productives et dénuées de tout fondement factuel». Des États comme le Royaume-Uni poursuivraient-ils le commerce d’armes avec Israël?

Ce n’est peut-être que le début d’une longue série de batailles juridiques pour Israël. La CIJ pourrait donner le ton à d’autres. Si elle rejette l’acte d’accusation sud-africain, Israël revendiquera la victoire et se posera comme la victime d’une grande conspiration antisémite. Si la Cour accepte ces arguments, la CPI pourrait se sentir soumise à une plus grande pression pour rendre ses propres verdicts sur les possibles crimes de guerre perpétrés à la fois par Israël et le Hamas.

Nombreux sont ceux qui auront le sentiment que l’ensemble du système judiciaire international se trouve sur le banc des accusés. Compte tenu de ce qu’Israël a fait, ces organes judiciaires peuvent-ils accomplir ce que les grandes puissances internationales n’ont pas réussi à faire depuis si longtemps et exiger des comptes à Israël? Le chemin sera long.

Chris Doyle est directeur du Council for Arab-British Understanding basé à Londres.

X: @Doylech

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com