PARIS: Un texte rejeté avant débat à l'Assemblée nationale, une commission députés-sénateurs largement négociée à Matignon, un exécutif qui reconnaît l'inconstitutionnalité d'une partie de la loi sur l'immigration, des 49.3 à répétition: épisode après épisode, la présidence Macron alimente le débat sur le fonctionnement des institutions.
Le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, a le sens de la formule: "L'autre jour, j'étais dans une classe de lycée. Et il y avait deux vedettes: Kylian Mbappé et le 49.3".
Avec un président réélu gouvernant sans majorité absolue, "les Français sont devenus de grands spécialistes du 49.3". Et "maintenant, ils deviennent peu à peu spécialistes de la motion de rejet", votée par les oppositions à l'Assemblée nationale sur la loi sur l'immigration, avait ajouté l'ancien Premier ministre.
Le premier quinquennat Macron avait déjà nourri de larges critiques sur la pratique présidentielle. "Emmanuel Macron a amené l'hyperprésidentialisation jusqu'à l'excès. Là-dessus, on a gravement dérivé, et je pense qu'il le paye très, très cher", relève un député Renaissance.
Le second mandat s'est ouvert sur une réforme des retraites adoptée chaotiquement par 49.3, les oppositions criant au "déni démocratique". Un 49.3 permettant l'adoption d'un texte sans vote, sauf motion de censure contre le gouvernement, devenu routine sur les textes budgétaires et indélébile marque de fabrique de la Première ministre Elisabeth Borne.
La loi sur l'immigration a ajouté un nouveau chapitre. Une œuvre collective: des oppositions, coalisées à l'Assemblée nationale derrière une motion de rejet. De l'exécutif, désireux de voir un texte aboutir à tout prix et cédant largement aux revendications de la droite et du Sénat.
La tenue de la Commission mixte paritaire (CMP) --sept députés et sept sénateurs chargés de trouver un compromis entre les deux chambres-- a également été critiquée. Les Républicains, en position de force dans ce cénacle, avaient été préalablement reçus à Matignon.
"Qu'est-ce que vous voulez que j'explique à mes étudiants quand vous avez le président de la République qui appelle des membres de la CMP (l’Elysée a démenti), la CMP qui se joue à Matignon... Ils ne respectent pas les règles, ces gens-là, ce n'est pas possible", se lamente un constitutionnaliste.
Dans le quotidien Le Monde, son confrère Denis Baranger pointe du doingt "une inversion des rôles au profit du Sénat", alors que l'Assemblée nationale est censée avoir le dernier mot.
Gouverner avec le peuple
L'exécutif n'a pas craint non plus de reconnaître que certaines dispositions de la loi immigration concédées à la droite sont contraires à la Constitution. "Un président de la République ne peut pas accepter une loi dont il sait, dont il avoue qu'elle est inconstitutionnelle !",critique l'ancien président François Hollande.
"On se défausse sur le Conseil constitutionnel pour faire annuler un certain nombre de dispositions. Mais quel courage! Et quel comportement", ajoute-t-il.
Habitué depuis 2017 au procès de sa pratique du pouvoir, M. Macron invoque l'esprit de la Ve République. "Au fond, (la Constitution de) 1958 referme la quête du bon gouvernement", "celui qui agit ou se démet, celui qui avance et répond de ses actions, celui qui demeure tant qu'une majorité contraire n'existe pas", avait-il expliqué en octobre.
Depuis sa réélection sans majorité, le président de la République est encore plus accusé d'attenter aux prérogatives du Parlement, et même de faire peu de cas de sa propre majorité.
Mais pour le secrétaire général de Renaissance, Stéphane Séjourné, "la France n'a pas la culture parlementaire. Ce sont quand même des choses qui se passent très souvent dans des coalitions, dans tous les Parlements d'Europe. On surjoue souvent les divisions en disant tout de suite que c'est une crise politique", avait-il expliqué mercredi, interrogé sur les discussions entre le parti présidentiel et son allié du MoDem.
La majorité invoque l'adoption de plusieurs dizaines de textes depuis 2022. Mais sur les deux dossiers sensibles, retraites et immigration, la discussion a viré au psychodrame. "Emmanuel Macron doit arriver à faire l'exercice du parlementarisme, même si c'est difficile. En majorité relative, vous n'avez pas le choix", estime la constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina.
François Bayrou (MoDem), lui, a plusieurs fois publiquement prôné de "changer complètement de méthode de gouvernement". "Gouverner, ce n'est pas seulement gouverner au nom du peuple, mais avec le peuple", a-t-il dit.
"Un président qui préside, un gouvernement qui gouverne, un Parlement qui légifère et qui contrôle, ça a l'air d'une tautologie sémantique mais c'est une réforme très profonde. (...) Il n'est pas possible que tout remonte, quelles que soient ses qualités éminentes, à une seule personne", observe Laurent Fabius. D'autant que "les Français sont très, très favorables à une évolution".