PARIS: La version en débat du projet de loi immigration scelle, selon le RN et la gauche, une "victoire idéologique" du parti d'extrême droite, notamment dans sa consécration de la "préférence nationale", un concept toutefois bien plus large dans la doxa lepéniste.
Lundi, députés et sénateurs de la commission mixte paritaire (CMP) dominée par la droite examinaient une nouvelle mouture du texte, au terme d'une semaine de négociations entre la macronie et LR.
A droite toute? L'allongement, pour les seuls étrangers, du délai pour obtenir les aides sociales, "cela s'appelle la préférence nationale, et c'est le programme du Rassemblement national", a fustigé dès dimanche le patron des députés socialistes, Boris Vallaud, à l'unisson de nombreux responsables de gauche.
"C'est une victoire idéologique majeure de notre famille politique", a salué lundi la députée RN Laure Lavalette, renvoyant à un marqueur du parti "depuis trente ans", qui montre selon elle que le mouvement fondé par Jean-Marie Le Pen avait "raison sur les constats et même les solutions".
"Tout ça, c'est le programme de Marine Le Pen", a appuyé lundi son collègue Jean-Philippe Tanguy, notamment à propos de la facilitation des reconduites à la frontière pour les étrangers criminels ou de la déchéance de nationalité des binationaux auteurs de crimes contre les forces de l'ordre.
Théorisée au mitan des années 80 par les cadres du Front national d'alors, la "préférence nationale", depuis rebaptisée "priorité nationale", est l'un des fondements de la pensée et du programme du Rassemblement national. Une revendication singulière dans la classe politique française qui lui vaut une part de son ostracisation.
Une forme de lepénisation des esprits? "Ces questions, eu égard au niveau atteint par le RN (dans les urnes et les sondages, NDLR), sont aujourd'hui +débattables+", relève le politologue spécialiste de l'extrême droite Jean-Yves Camus, en estimant qu'"il y a encore cinq ans, quand les chances de victoire de Marine Le Pen n'étaient qu'une chimère, ce type de propositions n'aurait pas passé la rampe".
L'original et la copie
Mais, tempère-t-il, le projet de loi dans sa rédaction discutée par la CMP "ne touche pas tous les aspects que le RN met derrière la notion de préférence nationale: pas de priorité à l'embauche, à la formation, au logement..."
"Notre pays passe avant tout, nos familles passent avant tout, notre peuple passe avant tout", avait ainsi résumé la candidate Le Pen en 2022, affirmant vouloir "faire de tous les citoyens français des privilégiés dans leur propre pays".
Par ailleurs, des différenciations entre Français et étrangers non-Européens existent déjà dans la législation actuelle: "On ne peut, par exemple, pas être fonctionnaire si on n'est pas français", rappelle Jean-Yves Camus, selon qui "la CMP a instauré une extension du domaine, pas une innovation totale".
"On n'est pas sur une révolution radicale, mais lente: aujourd'hui, ça n'est plus aberrant", abonde le constitutionnaliste Benjamin Morel, qui interroge toutefois la nature des aides soumises à une forme de préférence nationale: "S'il s'agit de droits qui relèvent de l'entraide nationale, il n'y a pas de problème; mais s'il s'agit d'une aide de solidarité, par principe, elle est censée être universelle et protégée par les droits de l'Homme".
Politiquement, l'affaire s'annonce délicate pour la majorité macroniste, qui s'affiche comme l'ennemi le plus déterminé autant que le meilleur rempart à l'extrême droite.
"On ouvre la voie à ce que certains réclament d'autres extensions: si on donne des gages de préférence nationale, alors il se trouvera des électeurs pour dire +c'est bien qu'on peut y aller jusqu'au bout+", considère Jean-Yves Camus.
A contrario, mordre sur les terres historiques du RN peut-il permettre à LR, voire aux macronistes, de mieux le contenir?
"Beaucoup de gouvernements européens ont serré la vis sur l'immigration, par exemple celui de Mark Rutte (centre droite) aux Pays-Bas, ça n'a pas arrêté la progression des populistes", arrivés en tête des législatives néerlandaises le mois dernier, objecte le politologue. Qui rappelle la formule chère à Jean-Marie Le Pen: "les électeurs préfèrent toujours l'original à la copie".