PARIS: Redoublement, groupes de niveaux, expérimentation de l'uniforme... Propulsé il y a moins de cinq mois à la tête de l'Education nationale, Gabriel Attal surfe sur l'idée d'un retour à une "école d'autrefois" plus stricte, mais en partie "mythifiée", selon des experts.
"On est dans une forme de mythe d’une école d’avant, de nostalgie", analyse Régis Malet, professeur en sciences de l'éducation à l'université de Bordeaux.
Le ministre de l'Education a présenté la semaine dernière des mesures pour "remettre de l’exigence" à l'école, en réponse à la baisse des résultats de la France à l'étude internationale Pisa. Avant cela, il avait déjà appelé à un "choc des savoirs", regrettant qu'"en un quart de siècle, entre 1995 et 2018, les élèves français (aient) perdu l'équivalent d'un an en termes de niveau".
Au programme de l'"électrochoc" promis par le ministre de 34 ans: le grand retour du redoublement, avec un durcissement des règles (la décision reviendra désormais aux professeurs et non aux familles), la création de groupes de niveaux au collège en français et mathématiques ou le conditionnement du passage au lycée à l'obtention du brevet.
Si le constat des difficultés est partagé, les syndicats enseignants y ont vu "un leurre au parfum de nostalgie", pour le SE Unsa, ou un "grand bond en arrière" avec une "vision rétrograde de l'école", selon Sud Education.
«Touche sépia»
Une "touche sépia" identifiée aussi par certains experts. Pour Régis Malet, "il y a une volonté d'éluder les vraies difficultés de notre école et de réduire leur complexité à des questions de norme, d'autorité, de coercition voire de sanctions".
Il y voit "une instrumentalisation politique de l’école", avec "une vision cosmétique" de l'idée d'autorité, sans que soient suffisamment pris en compte travaux de recherche et retours des enseignants.
L'annonce attendue des modalités d'une "expérimentation de grande ampleur" sur l'uniforme à l'école, débat récurrent depuis une vingtaine d'années, s'inscrit aussi selon lui dans cette logique de "petites recettes" teintées de nostalgie, en "confondant uniformisation et cohésion sociale".
Pour l'historien de l'éducation Claude Lelièvre, le débat sur l'uniforme, qui n'a jamais existé à l'école publique, et le thème récurrent de l'autorité se nourrissent de "la symbolique d'un retour au passé mythifié". "Ce thème prend plus d'ampleur et de force aujourd'hui" car "l'avenir nous paraît plus menaçant", dit-il.
S'il y a "des nouveautés" dans les annonces, dont l'obtention du brevet pour entrer en seconde, "le passéisme peut facilement jouer" sur le sujet du redoublement, selon lui. La France en a longtemps été l'une des championnes en Europe.
«Etre dur»
Le "souvenir idéalisé et réinventé de l’école d’autrefois" est aussi au coeur du jeu politique, souligne l'historien de l'éducation Yann Forestier. "Depuis une quinzaine d'années, dit-il, il y a un réinvestissement par la droite des thèmes éducatifs", qui faisaient avant "symboliquement partie du patrimoine de la gauche".
"L’extrême droite les remet régulièrement au cœur de l’agenda. C'est une dynamique générale du débat public en France aujourd'hui: il faut être dur sur l'immigration, la sécurité, l’école", ajoute ce spécialiste.
Le Rassemblement national avait présenté l'an dernier une proposition de loi à l'Assemblée nationale pour rendre obligatoire l'uniforme à l'école, rejetée malgré le soutien des Républicains. Brigitte Macron, puis Emmanuel Macron s'étaient, eux, prononcés en faveur d'une "tenue unique".
"Gabriel Attal a dû se dire que pour exister il devait donner des gages de conservatisme", analyse Yann Forestier, pour qui ces annonces sont "de la communication à destination d'une partie de l'électorat, de droite, dont on sait qu'il est de plus en plus âgé". "Il ne vise pas les enseignants", estime-t-il.
"Dans un pays qui vieillit, l’opinion des plus âgés pèse beaucoup plus dans les débats", renchérit Youenn Michel, historien et maître de conférence à l'université de Caen.
Avec l'uniforme, "il s'agit de montrer à l’opinion publique que quelque chose est fait face au problème d'un manque de cohésion nationale, d’un déficit de transmission de valeurs chez les jeunes", souligne-t-il. "Cette question se pose d'autant plus après les émeutes de juin".