KABOUL : Le gouvernement afghan a confirmé samedi avoir interdit aux porte-paroles des conseils provinciaux de partager des informations avec les médias. Cette décision a suscité l'inquiétude des législateurs et des journalistes, qui craignent qu'elle ne compromette d’une façon considérable la liberté de la presse dans le pays.
Cette nouvelle mesure intervient deux mois après le licenciement du porte-parole de la province de Takhar, Jawad Jawhari, pour avoir révélé aux médias que douze enfants ont été tués dans une frappe aérienne menée par le gouvernement, chose que ce dernier a catégoriquement démentie. La Commission afghane des droits de l'homme a par la suite corroboré le récit de Jawhari.
«Dorénavant, les gouverneurs se chargeront de fournir des informations pertinentes aux médias et au public. Les porte-paroles continueront à exercer leurs fonctions de chargés des affaires publiques conformément au règlement de travail», explique à Arab News Rahmatullah Andar, porte-parole du conseiller du président Ashraf Ghani pour la Sécurité nationale.
Dawa Khan Menapal, un porte-parole du président Ghani, attribue cette décision au fait que « certains porte-paroles ont abordé des questions dénuées de toute vérité et qui contredisaient la politique adoptée ».
Il a précisé que le rôle des porte-paroles des conseils provinciaux consistera dorénavant à transmettre aux gouverneurs les questions posées par les médias. En outre, les chefs des districts ne seront plus autorisés à communiquer avec les médias.
Najiba Ayoubi, directrice d'une célèbre station de radio à Kaboul, a qualifié la décision du gouvernement de «manœuvre systématique visant à étouffer les voix et empêcher les citoyens d'accéder à l'information».
«Pendant plusieurs années, le gouvernement nous a séduits avec des slogans de liberté des médias et de liberté d'expression. Le voilà qui impose aujourd'hui des restrictions, ouvertement et effrontément», confie-t-elle à Arab News.
Pour les dirigeants afghans et les donateurs internationaux, la liberté de la presse a représenté pendant bien longtemps la « grande réussite » de ce pays depuis que les Talibans ont été évincés lors d'une invasion dirigée par les États-Unis à la fin de 2001.
Cependant, les journalistes éprouvent, ces dernières années, une frustration grandissante dans la mesure où ils ne peuvent communiquer que rarement avec les hauts responsables du gouvernement et de l'armée dans tout le pays, en raison de problèmes tels que la corruption et les pertes en vies humaines dans le cadre des opérations menées par les troupes afghanes et américaines.
Dans de nombreuses régions, les porte-paroles des conseils provinciaux ont été les seules sources d'information officielles pour les médias en Afghanistan, un des pays les plus dangereux pour les journalistes. Quatre journalistes au moins ont été tués en Afghanistan rien que ces deux derniers mois.
Nasir Ahmad Noor, chef de l'organisme de surveillance des médias locaux NAI, estime que cette décision conduira à « la diffusion de rumeurs et de fausses informations ».
Il explique que « lorsque vous ne pouvez pas communiquer avec les porte-paroles et que vous avez du mal à atteindre les gouverneurs, vous devrez vous appuyer sur des comptes rendus de sources anonymes ».
Hamidullah Tokhi, un parlementaire de la province de Zaboul, affirme à Arab News que le Parlement débattra de la décision lundi. Selon lui, cette interdiction entraînera l'Afghanistan vers « la dictature et le totalitarisme, dans la mesure où le gouvernement souhaite empêcher le public d'avoir accès aux informations et à la vérité ».
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com