Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles les États-Unis agissent en tant qu’intermédiaire de bonne foi et contribuent à mettre fin de manière pacifique au conflit israélo-palestinien. Il serait dans l’intérêt de l’Amérique de retirer de l’ordre du jour régional une question qui est source d’instabilité dans une zone d’une importance considérable pour Washington. De plus, une approche unilatérale du conflit de la part de l’Amérique compromet son image en tant que leader crédible du monde démocratique, et arbitre dans d’autres conflits.
Ce n'est pas le soutien de Washington à Israël en tant que tel qui nuit à sa réputation, mais le fait qu’il agit ainsi en dépit de ses propres objections à l'occupation oppressive des terres et du peuple palestinien par Israël, à la privation des Palestiniens de leurs droits politiques et humains, et à l'extension des colonies en Cisjordanie. À de nombreuses reprises, cela a isolé les États-Unis sur la scène internationale, notamment à l’ONU, pour avoir défendu l’indéfendable lorsqu’il s’agissait de la politique israélienne à l’égard des Palestiniens.
Cependant, il existe également un mouvement croissant qui a été négligé par les administrations successives américaines: un changement d’attitude à l’égard de la question israélo-palestinienne au sein de l’électorat américain, qui divise de plus en plus la politique intérieure et pourrait bien influer sur les résultats des élections.
Dans un sondage de NBC News la semaine dernière, la cote de popularité du président Joe Biden a chuté à 40 %, le niveau le plus bas de sa présidence. La diminution de l’approbation la plus notable à l’égard du président actuel concerne sa gestion de la politique étrangère, et plus particulièrement, la guerre entre Israël et le Hamas. Ce qui devrait inquiéter Biden, c’est que son soutien connaît une hémorragie parmi les démocrates, en particulier parmi la jeune génération, qui désapprouve le président pour ne pas agir suffisamment pour s’assurer que les actions militaires israéliennes à Gaza n’entraînent pas une perte trop importante de vies civiles.
«Ce qui devrait inquiéter Biden, c’est que son soutien connaît une hémorragie parmi les démocrates, en particulier parmi la jeune génération.»
Yossi Mekelberg
L’amitié de longue date de Biden avec Israël a commencé il y a une cinquantaine d’années, alors qu’il était jeune sénateur, et s’est poursuivie lorsqu’il était vice-président de Barack Obama. Il est le produit d’une génération qui a rarement exprimé un point de vue critique sur les relations avec Israël, même lorsqu’elle était en désaccord avec ses actions. Biden est en quelque sorte un admirateur d’Israël, avec de forts liens religieux, ainsi que le sentiment historique et émotionnel de la génération de l'après Seconde guerre mondiale.
Néanmoins, ce dont il ne se rend pas compte, c’est que, parmi la jeune génération d’électeurs majoritairement démocrates, le soutien à Israël est moins instinctif. Ceux-ci ont également un sens aigu de la justice universelle, ce qui les rend plus enclins à soutenir les opprimés dans les conflits, d’où leur empathie avec la détresse des Palestiniens plutôt qu’avec Israël, ce dernier étant le camp le plus fort dans ce conflit.
Bien que l’identité du candidat républicain n’ait pas encore été confirmée, Biden affrontera probablement l’année prochaine l’ancien président Donald Trump, comme il l’a fait lors de l’élection présidentielle de 2020. À ce stade, les sondages placent Biden derrière Trump dans certains États clés de la bataille électorale, tels que le Nevada, la Georgie, l’Arizona, le Michigan et la Pennsylvanie. Ce n’est évidemment pas seulement la guerre à Gaza qui contrarie ses partisans. Parmi les autres questions qui divisent le pays, il y a les inquiétudes de nombreux électeurs selon lesquelles le pays va dans la mauvaise direction – ils s’inquiètent de l’état de l’économie, mais également de l’âge de Biden. Cependant, la politique concernant la guerre à Gaza est très présente dans le discours politique actuel du pays.
Depuis qu'il a annoncé sa troisième candidature à la Maison Blanche en novembre de l'année dernière, nombreux sont ceux qui se demandent encore, surtout en dehors des États-Unis, comment Trump peut encore se présenter à un poste officiel, sans parler de la plus haute fonction du pays, étant donné qu'il a été inculpé de 91 chefs d'accusation dans quatre juridictions, outre le fait de son discours au vitriol controversé, et qui repose principalement sur le fruit de sa propre imagination. Pourtant, c’est la réalité de la politique américaine d’aujourd’hui, et pour que Biden remporte l’élection présidentielle de 2024, il doit au moins conserver la base de soutien traditionnelle des démocrates, dont une grande partie est jeune et multiethnique.
«Le dilemme de ceux qui ont une empathie pour la cause palestinienne est le fait que Trump n’est guère une solution séduisante.»
Yossi Mekelberg
Le soutien de Biden à Israël immédiatement après l'attaque du Hamas du 7 octobre était compréhensible et justifié, mais le farouche soutien de son administration dans la poursuite de la guerre alors que l'offensive israélienne avait déjà provoqué la mort de plus de 14 000 Palestiniens à Gaza, dont environ 5 000 enfants, suscite des critiques de la part de l'aile gauche de son parti et de nombreux musulmans américains.
C’est Biden lui-même qui, dès les premiers jours de la guerre, a mis en garde Israël sur le fait que les démocraties devaient mener leurs actes de guerre dans le respect des règles de guerre internationalement acceptables, mais depuis lors, pratiquement aucun effort n’a été fait pour persuader Israël de changer de tactique dans la poursuite de ses actions contre le Hamas, en dépit du bilan inacceptable et tragique des morts parmi les Gazaouis. Alabas Farhat, un représentant démocrate de l’État du Michigan, dont le district inclut Dearborn, qui comprend l’une des plus grandes communautés musulmanes et arabes américaines du pays, a averti du fait que «Joe Biden s’est aliéné à lui tout seul presque tous les électeurs arabes américains et musulmans américains du Michigan.»
La communauté musulmane aux États-Unis est relativement petite – 3,45 millions, soit environ 1 % de la population globale – mais avec le soutien de jeunes électeurs à l’esprit libéral, elle pourrait faire une grande différence lors de la prochaine élection présidentielle. Cependant, le dilemme de ceux qui ont une empathie pour la cause palestinienne est le fait que Trump n’est guère une solution séduisante, avec sa rhétorique anti-musulmane et sa campagne pour rétablir l’interdiction de voyager pour les musulmans. Toutefois, dans ce qui devrait être une course serrée, si un nombre considérable d’électeurs désenchantés décidaient de rester chez eux le jour du scrutin, Trump pourrait remporter la victoire. Cela pourrait s’avérer être un objectif personnel, mais traduirait le niveau de critique à l’égard de l’approche de Biden concernant la guerre à Gaza.
Il n’est pas trop tard pour que Biden regagne la confiance des électeurs musulmans, comme de tous ceux qui critiquent sa position actuelle sur la guerre à Gaza. Pour ce faire, il doit s’efforcer de promouvoir des cessez-le-feu humanitaires prolongés, et à terme, permanents, ainsi que, d’une façon plus générale, de modifier la politique américaine à l’égard des Palestiniens. Cela pourrait commencer par l'ouverture d'un consulat américain à Jérusalem, et une fois la guerre terminée, par la reconnaissance de l'État de Palestine, puis par le lancement d'une initiative de paix ayant pour objectif clair l'établissement d'un État palestinien dont la capitale serait Jérusalem-Est, tout en s’appuyant sur Israël pour mettre un terme à l’expansion des colonies et à la violence des colons.
Ce faisant, non seulement Biden pourrait convaincre ceux qui s’opposent à lui pour avoir autorisé le massacre de tant de milliers de civils à Gaza, mais de telles actions pourraient également garantir la sécurité et la prospérité à long terme des Israéliens et des Palestiniens, tout en améliorant ses chances pour un second mandat.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme MENA à Chatham House. X: @YMekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com