GENÈVE : Une intuition et les sondages le font pressentir : l'ascension de Donald Trump a provoqué une dégradation marquée du discours politique aux Etats-Unis. Désormais, des chercheurs ont les données pour le confirmer.
La récolte et l'analyse de près d'un quart de milliard de citations d’hommes politiques extraites de millions d’articles de presse publiés sur plus d’une décennie, permet de dégager une tendance claire, selon des chercheurs suisses.
En juin 2015, le mois où Donald Trump a lancé sa première campagne présidentielle, les données montrent «une forte augmentation de la négativité, puis la négativité reste élevée», a déclaré à l'AFP le chercheur principal de l'étude, Robert West.
Le roi de l'immobilier avait fait campagne en attaquant les musulmans, en se moquant d'un journaliste handicapé et en qualifiant les professionnels des médias d'ennemis du peuple. Il avait aussi eu des commentaires désobligeants à l'égard des femmes et avait laissé entendre que la violence politique était acceptable voire même souhaitable.
Une rhétorique qui est devenue courante et qui s'est normalisée depuis lors, les quatre années de présidence de Donald Trump ne l'ayant pas incité à changer de ton.
Robert West, professeur adjoint au laboratoire de science des données de l'École polytechnique fédérale de Suisse, a expliqué avoir été frappé par les sondages sur un discours politique de plus en plus négatif, qui désignent Donald Trump -à la Maison Blanche de 2016 à 2020 et qui brigue un nouveau mandat en 2024- comme le principal responsable.
- «Saut massif» -
Robert West ne s'est pas contenté de l'intuition.
«Nous sommes des spécialistes des données, alors nous nous sommes demandés : pouvons-nous vérifier si les données disent réellement la même chose ?».
Pour répondre à la question, M. West et son équipe ont d'abord dû constituer une banque de données géante, la Quotebank, ou Banque des citations.
Elle contient un corpus de 235 millions de citations uniques extraites de 127 millions d’articles de presse en ligne publiés entre 2008 et 2020, permettant aux chercheurs de procéder à une analyse détaillée du ton du langage public des politiciens américains.
Selon Robert West, pendant le mandat de Barack Obama, de 2009 à 2016, la fréquence des mots traduisant une émotion négative dans le discours politique a diminué régulièrement. Mais en juin 2015, lorsque M. Trump a lancé sa campagne, la négativité a fait un bond de 8% par rapport au niveau de référence des sept années précédentes.
«C'est en fait un bond énorme», souligne le chercheur.
«Et cela s'est produit le mois où Trump a entamé sa campagne, c'est donc un signe que Trump pourrait être un facteur important derrière cela.»
- Trump «principal responsable» -
Il existe un autre indicateur selon lequel Trump lui-même «est l'un des principaux responsables de cette négativité», souligne M. West.
«Lorsque vous supprimez les citations de Donald Trump, l'ampleur du saut diminue de 40%», a-t-il précisé.
Mais même sans les citations de Donald Trump, le discours politique reste nettement détérioré.
«C'est tout le système qui, fondamentalement, est devenu plus négatif», explique le chercheur, selon lequel il est intéressant de noter que la négativité n’a pas seulement augmenté lorsque Donald Trump a fait de la surenchère pour conquérir la Maison Blanche.
«Ce bond initial n'était pas simplement le résultat d'une campagne (électorale) toxique», insiste Robert West. «Cela a en fait duré quatre ans, (...) toute sa présidence.»
Selon lui, il pourrait même y avoir eu une nouvelle hausse de la négativité à partir de la mi-2019, à la fin de la course à la Maison Blanche que se livraient alors Donald Trump et Joe Biden.
L'équipe de M. West -privée de données fraîches en 2020- est à la recherche de nouveaux partenariats, avec des sociétés comme Google ou des agences de presse, pour pouvoir alimenter de frais sa Quotebank.
Mais même en l'état, M. West juge que les résultats de ses recherches pourraient bien démontrer que la démocratie américaine est en difficulté.
«Il faut connaître les symptômes pour guérir la maladie», a-t-il dit.