PARIS: Après avoir adopté mardi la suppression de l'aide médicale d'Etat (AME) réservée aux sans-papiers, le Sénat s'apprête à faire de même sur les régularisations d'immigrés dans les métiers en tension, autre mesure symbolique pour la droite qui entend durcir le projet de loi immigration.
Deux jours d'âpres débats dans l'hémicycle ont permis à la chambre haute d'imprimer un sérieux tour de vis à la réforme du gouvernement et d'aboutir à un accord en coulisses entre la droite et les centristes sur la mesure la plus crispante, l'article 3.
Cette disposition visant à octroyer un titre de séjour d'un an renouvelable aux travailleurs sans-papiers dans des secteurs en pénurie de main d'œuvre pourrait être examinée dès mercredi soir, en fonction de l'avancée des débats de la Haute Assemblée.
Le groupe centriste et Les Républicains, qui forment la majorité sénatoriale, ont peiné à accorder leurs violons sur cette mesure d'intégration par le travail, mais leur compromis devrait mener à sa suppression.
L'accord trouvé mardi, qui ouvre la voie à une adoption d'une version durcie du projet de loi lors d'un vote solennel le 14 novembre, prévoit néanmoins que le sujet des régularisations réapparaitra ailleurs dans le texte à travers de nouveaux amendements.
"Il y aura donc bien un article de régularisation pour les travailleurs en tension et c'est une très bonne chose", a souligné le ministère de l'Intérieur, attaché à préserver l'aile gauche de la majorité présidentielle.
Mardi après-midi, droite et centre étaient déjà alignés pour voter la suppression de l'aide médicale d'État (AME), transformée en "aide médicale d'urgence" par un vote large de 200 voix pour et 136 contre.
Fermeté
Le gouvernement, fracturé sur ce dossier, a rendu un "avis de sagesse", ni favorable ni défavorable à cette mesure qui peut toujours être retirée par l'Assemblée nationale, saisie à son tour sur le texte à partir du 11 décembre.
"Le gouvernement est très attaché à l'AME", un "dispositif de santé publique", a déclaré Mme Firmin Le Bodo, venue épauler pour ce volet le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, omniprésent sur ce texte. Le choix du Sénat est "une profonde erreur" et "même une faute", a déploré le ministre de la Santé Aurélien Rousseau dans l'émission Quotidien.
L'AME prévoit depuis plus de vingt ans une couverture intégrale des frais médicaux et hospitaliers accordée aux étrangers en situation irrégulière présents en France depuis au moins trois mois.
L'aide médicale d'urgence votée par le Sénat, si elle entrait en vigueur, serait "recentrée" sur la prise en charge "des maladies graves et des douleurs aiguës", réduisant le panier de soins actuellement accordé à quelque 400.000 bénéficiaires.
La mesure du Sénat, qualifiée "d'article de la honte" par la gauche, intègre aussi les soins liés à la grossesse, les vaccinations et les examens de médecine préventive.
La droite la justifie par les risques d'"appel d'air" que représente selon elle l'AME, ainsi que son coût: environ 1,2 milliard d'euros.
La majorité sénatoriale est donc restée fidèle à sa volonté de durcir le texte du gouvernement, déjà lui-même déterminé à faire preuve de "fermeté" sur le volet répressif, qui prévoit notamment de faciliter les expulsions des étrangers "délinquants".
Accord «important»
Le Sénat a ainsi poursuivi son entreprise dans la soirée de mardi, en rétablissant par exemple le délit de séjour irrégulier (supprimé en 2012), puni uniquement d'une peine d'amende.
Le texte en cours de construction par le Sénat "modifie en profondeur la version présentée par le gouvernement", s'est réjoui Bruno Retailleau, président du groupe LR, après avoir annoncé un accord avec ses alliés centristes.
"Il était important qu'on vote un texte au Sénat, sans quoi tout ce que nous aurions fait ici aurait été perdu", a renchéri son homologue centriste Hervé Marseille.
Au sein de son groupe, on réfute l'hypothèse d'avoir cédé aux LR, assurant que l'essentiel des exigences centristes figureront bien dans la version du Sénat.
"Bruno Retailleau est tellement monté en pression qu'il se doit de dire qu'il a gagné le combat. Mais la réalité, c'est qu'il a avalé son chapeau", a relevé un sénateur centriste. "C'est un jeu de dupes", s'est désolé Patrick Kanner, le président du groupe socialiste.