PESHAWAR: Plus de 20 000 migrants afghans vivant au Pakistan se sont précipités mardi à la frontière avec l'Afghanistan, selon les autorités pakistanaises, à la veille de la date limite fixée par Islamabad pour qu'ils quittent le pays.
Le gouvernement pakistanais a donné jusqu'à mercredi aux sans-papiers vivant sur son sol - essentiellement des Afghans, dont il estime le nombre à 1,7 million - pour en partir d'eux-mêmes, sans quoi ils seront expulsés. Kaboul a dénoncé une mesure "cruelle et barbare".
Ensuite, les Afghans en situation irrégulière risquent d'être arrêtés, placés dans des centres de rétention, puis expulsés vers l'Afghanistan.
"Le Pakistan est le seul pays au monde qui ait accueilli des réfugiés pendant aussi longtemps", a justifié mardi le ministre pakistanais de l'Intérieur, Sarfraz Bugti.
"Seuls les gens qui sont complètement en situation irrégulière quitteront le Pakistan", a-t-il assuré. Certains d'entre eux ont décidé de ne pas attendre et préféré partir sans délai.
"Des milliers de réfugiés afghans attendent leur tour dans des véhicules, des camions et leur nombre continue à s'accroître", a déclaré mardi à l'AFP Irshad Mohmand, un haut responsable gouvernemental pakistanais au poste-frontière de Torkham (nord-ouest), principal point de transit entre les deux pays.
Au moins 18 000 personnes font la queue sur plusieurs kilomètres à Torkham, a-t-il précisé. Environ 5 000 autres patientent au poste-frontière de Chaman, dans la province du Baloutchistan (sud-ouest), selon les autorités locales.
Au total, plus de 100 000 migrants afghans sont déjà rentrés en Afghanistan depuis l'annonce de ce plan début octobre.
Peur de rentrer
Malgré cet afflux, un responsable gouvernemental à Peshawar, capitale de la province du Khyber Pakhtunkhwa où se trouve Torkham, a estimé que la procédure serait relativement rapide du côté pakistanais.
Cela "ne demande pas beaucoup de temps, car ils ne possèdent pas de passeports ni de visas et n'ont pas besoin de passer par l'immigration", a-t-il souligné sous couvert d'anonymat.
Mais les autorités afghanes doivent enregistrer les nouveaux entrants, ce qui prend beaucoup plus de temps.
Des millions d'Afghans ont afflué au Pakistan au cours de décennies de guerre - dont au moins 600 000 depuis le retour au pouvoir des talibans à Kaboul en août 2021 -, en faisant l'un des pays qui accueille le plus de réfugiés au monde.
Beaucoup ont peur de rentrer en Afghanistan, où le gouvernement taliban a imposé son interprétation rigoriste de l'islam, interdisant par exemple aux filles l'accès à l'éducation après l'école primaire.
"Nous ne rentrons pas, parce que mon éducation serait brutalement interrompue en Afghanistan", a expliqué à Peshawar une jeune Afghane de 14 ans, dont la famille n'a pas de papiers.
"Notre père nous a dit que même s'il est arrêté par les autorités pakistanaises nous ne devrions pas partir. Parce que nous n'aurons pas de vie en Afghanistan", a-t-elle déclaré à l'AFP, qui a décidé de ne pas dévoiler son nom pour raisons de sécurité.
Plusieurs écoles pour enfants afghans à Islamabad étaient fermées mardi, car les élèves craignent d'être arrêtés et expulsés, ont indiqué des enseignants à l'AFP.
«Assez c'est assez»
La police a aussi supervisé dans la capitale la démolition de centaines de maisons en terre construites illégalement et dans lesquelles des Afghans vivaient dans la misère.
"Assez c'est assez. Montrez-nous le chemin, nous trouverons un véhicule et partirons aujourd'hui. Cette humiliation, c'en est trop", a déclaré Baaz Muhammad, 35 ans, un enfant de réfugiés afghan né au Pakistan, en regardant les bulldozers détruire son habitation.
La police de la province du Khyber Pakhtunkhwa a assuré n'avoir pas commencé les arrestations. Mais à Karachi (sud) et Islamabad, les réfugiés afghans ont signalé des rafles depuis plusieurs jours et dit être victimes de harcèlement ou extorsion.
Des avocats et militants ont dénoncé une répression sans précédent et demandé au gouvernement de laisser plus de temps à ces migrants, dont certains vivent depuis des décennies au Pakistan ou y sont même nés, pour partir dignement.
"Le gouvernement pakistanais a recours à des menaces, des mauvais traitements et au placement en détention pour contraindre les demandeurs d'asile afghans sans statut légal à retourner en Afghanistan ou à faire face au risque d'expulsion", a déploré mardi Human Rights Watch.
"La situation en Afghanistan reste dangereuse pour nombre de ceux qui ont fui, et s'ils sont expulsés ils seront exposés à d'importants risques pour leur sécurité", a ajouté l'organisation de défense des droits humains.
Le gouvernement pakistanais a dit chercher à préserver avec cette mesure "le bien-être et la sécurité" du pays, où le sentiment anti-afghan est en hausse sur fond de crise économique et de multiplication des attentats à la frontière.