TUNIS: La Tunisie sera désormais organisée en cinq districts, au lieu des vingt-quatre gouvernorats actuels. Ainsi en a décidé le président, Kaïs Saïed, le 22 septembre 2022, par décret. Mais nul ne sait pour l’instant comment cette réforme, que le monde politique semble soigneusement éviter de discuter, va être mise en œuvre.
L’idée n’est pas nouvelle, elle circule depuis une bonne dizaine d’années. En effet, on doit au deuxième gouvernement de l’après-Ben Ali (février 2011-décembre 2011) dirigé par le futur président de la république, Béji Caïd Essebsi, d’en avoir conçu le projet dans un livre blanc.
Le gouvernement proposait alors quarante-neuf mesures visant à améliorer les infrastructures, les soins de santé, l'éducation, le logement, la culture, l'industrie, le tourisme, et ainsi permettre aux régions défavorisées de combler leur retard économique par rapport aux autres. Rien de tel dans le nouveau projet de réforme territoriale, au sujet duquel on sait à ce jour très peu de choses. Étrangement, en dépit de son importance, la réforme territoriale est très peu discutée et analysée.
Le président Saïed s’est d’ailleurs contenté de déclarer que la création de cinq districts vise à «établir la justice et l’équilibre» entre eux. Son décret se limite à détailler la composition de chaque district et le mode de réunion de son conseil – par rotation entre les gouvernorats qui le composent.
Parmi les partisans de M. Saïed, certains semblent éviter le sujet. Ainsi Ridha Chiheb el-Mekki, dit «Ridha Lénine», un des idéologues de la «nouvelle république»; Abid Brigui et son parti Ila Alamam («En avant»), et Zouheir Maghzaoui, secrétaire général du Mouvement du peuple, ne l’ont jamais abordé.
Seul Ahmed Nejib Chebbi, président du Front de salut national, regroupant le mouvement Ennahdha et ses alliés, a affirmé le 23 septembre 2023 que «découper la Tunisie en cinq districts représente un échec de plus».
Ceux qui se sont aventurés sur ce terrain commentent le projet du bout des lèvres et sans avancer d’arguments capables de convaincre les sceptiques. C’est le cas notamment du Courant populaire, dirigé par Zouheir Hamdi, qui a appelé à «mettre en place les districts», et qui a averti que cela doit être fait «selon une vision globale afin de développer les infrastructures». Ahmed Chaftar, autre théoricien de la «nouvelle république», a déclaré, lui, que «la division du pays en districts est… une forme d’union».
Dans le camp adverse, les commentaires sont encore plus rares. Seul Ahmed Nejib Chebbi, président du Front de salut national, regroupant le mouvement Ennahdha et ses alliés, a affirmé le 23 septembre 2023 que «découper la Tunisie en cinq districts représente un échec de plus».
Il est tout aussi rare de trouver des personnalités en dehors du cercle présidentiel prêtes à exprimer leurs opinions sur cette question. Neji Baccouche, professeur de droit public à la faculté de droit de Sfax, et surtout, auteur du Code des collectivités locales de 2018, ainsi que l'ancien ministre du Tourisme puis du Commerce, Mohsen Hassan, n'ont pas répondu favorablement à une demande d'interview. Pourtant, ce dernier a déclaré le 23 septembre lors d’une interview accordée à la radio privée Mosaïque FM, de manière très prudente, qu’il était possible que «la planification au niveau des districts contribue à favoriser l'intégration économique entre les villes de l'intérieur et les villes côtières, tout en réduisant les disparités de développement entre les régions grâce au développement des infrastructures».
Mais M. Hassan s’accorde avec Mourad ben Jalloul, spécialiste de la question, pour estimer que le problème n’est pas tant le découpage du pays en cinq districts que la manière dont cette réforme va être mise en œuvre. Le premier insiste sur la nécessité pour le pouvoir central de doter les districts de moyens financiers suffisants et d’une fiscalité locale plus favorable. Le second se demande, dans un article publié sur le site Kapitalis, si ces districts disposeront des prérogatives suffisantes pour «être force de proposition, afin de changer la réalité du développement régional».