VARSOVIE: Olena Romanova a fui l'Ukraine pour la Pologne lorsque la Russie a lancé son invasion en février 2022, laissant derrière elle un salon de massage prospère. Comme elle, des dizaines de milliers de réfugiés ont rebâti leurs commerces.
Avec trois partenaires, cette femme de 52 ans propose désormais le même service en Pologne, où quelque 30 000 entreprises ont été créées par des réfugiés ukrainiens depuis la guerre.
"Nous avons réalisé que nous devions nous développer pour ne pas devenir fous", explique Mme Romanova, qui a quitté Kiev avec l'une de ses filles au lendemain de l'invasion russe mais a laissé son mari en Ukraine.
Le phénomène est tel qu'une entreprise sur dix nouvellement créées est détenue par des Ukrainiens, qui sont près d'un million à vivre en Pologne, selon les chiffres du gouvernement.
"Lorsque nous avons commencé à travailler en Pologne, c'était très difficile, car nous ne connaissions ni la langue, ni les lois. On ne connaissait pas le marché du travail, ni les produits, ni les services", poursuit l'entrepreneuse.
Au début, ses partenaires et elle se "tiraient mutuellement vers le haut". "Je ne suis pas sûre que j'aurais été capable de le faire si j'avais été seule, compte tenu de mon état psychologique", souligne-t-elle.
Moins chaotique qu'en Ukraine
Un secteur est particulièrement florissant, malgré la morosité de l'économie polonaise: celui de la construction. Un cinquième des entreprises ukrainiennes qui voient le jour sont actives dans ce secteur.
De nombreuses autres s'occupent de technologies de l'information ou fournissent des services, notamment les salons de coiffure, selon un rapport datant de juillet de l'Institut polonais d'économie.
Karina Synevytch, 36 ans, originaire de Kiev, travaille pour la populaire chaîne ukrainienne de restaurants de poisson Chornomorka, qui a ouvert deux succursales à Varsovie.
Elle se félicite de constater que la création et la gestion d'une entreprise en Pologne sont mieux organisées et plus transparentes qu'en Ukraine.
"En Pologne, cela prend plus de temps. En Ukraine, on peut tout ouvrir plus rapidement, mais c'est plus chaotique", relève-t-elle.
Lorsque le premier Chornomorka a ouvert ses portes à Varsovie en décembre, les premiers clients étaient tous des Ukrainiens qui ont laissé des commentaires vantant le plaisir de goûter leur cuisine nationale et de parler leur langue maternelle.
"Nous avons pleuré en les lisant", raconte Karina Synevytch.
Peu à peu, les Ukrainiens ont commencé à y amener leurs amis polonais et, aujourd'hui, la plupart des clients sont polonais.
«Une vie différente»
Nova Poshta, le plus grand service postal d'Ukraine, dessert également l'importante communauté ukrainienne résidant en Pologne.
Il a ouvert son premier point de vente en octobre sous le nom de Nova Post, qui permet aux clients d'envoyer et de recevoir rapidement des colis en provenance et à destination de l'Ukraine.
"Actuellement, il y a sept succursales à Varsovie et nous en avons 34 dans toute la Pologne", se félicite le directeur de la succursale polonaise de la société, Ievguen Tafiïtchouk, 34 ans.
Maryna Ivanova, une coach fitness qui s'est rendue au bureau de poste de Varsovie pour récupérer un colis, utilise régulièrement ce service.
"Aujourd'hui, par exemple, j'ai commandé des chemises brodées ukrainiennes. D'une certaine manière, je voulais soutenir un fabricant ukrainien", explique cette trentenaire.
Elle dit envoyer régulièrement des colis à l'armée ukrainienne par l'intermédiaire de Nova Poshta. "Mes amis les reçoivent à Odessa et les remettent aux soldats. C'est très rapide et pratique", poursuit-elle.
Pour de nombreux Ukrainiens, même ceux qui ont ouvert des entreprises prospères en Pologne, il est toutefois difficile de se projeter sur le long terme.
"Je vis dans l'instant présent", explique Olena Romanova.
Karina Synevytch, elle, peine à dire si sa nouvelle vie en Pologne est pire ou meilleure que l'ancienne, en Ukraine. "C'est juste différent, une vie différente", lance-t-elle.
"J'essaie de ne rien programmer. Tout au plus, je planifie un mois à l'avance. Que se passera-t-il dans six mois? C'est difficile à dire", explique-t-elle. "L'essentiel, c'est que (la guerre) se termine."