PARIS: La France s'apprête à quitter le Niger, son dernier allié au Sahel: un ultime camouflet pour Paris, déjà chassé du Mali et du Burkina Faso, et une page qui se tourne après une décennie d'intervention militaire antidjihadiste dans la région.
A l'issue d'un intenable bras de fer de deux mois avec le régime militaire, le président Emmanuel Macron a fini par céder en annonçant dimanche le retour à Paris de l'ambassadeur et le retrait des 1 500 militaires "d'ici la fin de l'année".
Ce retrait forcé intervient après celui du Mali, en août 2022, et du Burkina Faso, en février 2023. Dans les trois cas, Paris a été poussé dehors par des régimes militaires arrivés au pouvoir après des coups d'Etat, surfant sur un sentiment antifrançais et se tournant, dans le cas du Mali, vers une coopération avec le groupe paramilitaire russe Wagner.
Jusqu'au coup d'Etat du 26 juillet qui a renversé le président élu Mohamed Bazoum, le Niger était l'un des derniers alliés de Paris au Sahel, et la pièce centrale de son nouveau dispositif antidjihadiste dans la région.
Le retrait de ce pays "consacre le fiasco de la politique de la France au Sahel", commente le chercheur Yvan Guichaoua (Brussels school of international studies) sur X (ex-Twitter).
Pour de nombreux observateurs, Paris n'a pas vu ou pas voulu voir les évolutions en cours dans la région.
"Le Mali a fait tache d’huile, on sait qu'on était face à une tendance lourde. Ca fait des années qu’on voit monter cette vague. La France a senti qu’elle perdait pied, mais elle est restée dans le déni et la stupeur", estime une source diplomatique française.
Et cette source d'ajouter : "On se retrouve aujourd’hui face aux conséquences de l’hypermilitarisation de notre relation avec l’Afrique", quand la région sahélienne, l'une des plus pauvres au monde, est aussi rongée par des crises sécuritaire, environnementale, communautaire.
Depuis sa première élection, Emmanuel Macron a tenté un changement de cap en Afrique, déjà présent dans le discours de Ouagadougou en 2017 puis réitéré en février 2023, esquissant une approche moins militaire centrée sur les relations avec la société civile et le "soft power". "La Françafrique est morte", a-t-il encore insisté dimanche.
Mais Paris s'est vu reprocher ses incohérences. S'il a condamné le coup d'Etat au Niger, il s'était accommodé du premier putsch au Mali en 2020, et avait adoubé l'année suivante Mahamat Idriss Déby Itno, arrivé au pouvoir au Tchad sans processus constitutionnel.
Le Niger, du coup d'Etat au retrait français
Du coup d'Etat du 26 juillet au retrait annoncé pour la fin de l'année des troupes françaises, voici les temps forts de la crise au Niger.
Coup d'Etat
Le 26 juillet 2023, des militaires annoncent avoir renversé le président Mohamed Bazoum, élu en 2021.
La communauté internationale condamne le coup d'Etat, réclamant la libération de Bazoum.
Le 28, le général Abdourahamane Tiani, chef de la garde présidentielle, devient le nouvel homme fort du Niger, justifiant le coup d'Etat par "la dégradation de la situation sécuritaire".
Pressions internationales
Les jours suivants, plusieurs pays dont la France, ancienne puissance coloniale, suspendent leur aide au développement.
Le 30, la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cedeao) ordonne un blocus économique et fixe un ultimatum d'une semaine pour rétablir le président Bazoum, sous peine de "recours à la force".
Les juntes au pouvoir au Mali et au Burkina Faso préviennent qu'elles considéreraient une intervention militaire au Niger comme une "déclaration de guerre" contre leur pays.
A partir du 1er août, Paris puis Rome évacuent leurs ressortissants et d'autres étrangers.
Accords militaires avec Paris dénoncés
Le 3 août, la diffusion des médias France 24 et RFI est suspendue.
Le nouveau pouvoir dénonce les accords militaires avec Paris, qui compte 1.500 soldats au Niger dans le cadre de son dispositif antidjihadiste au Sahel. Seules les "autorités nigériennes légitimes" peuvent rompre ces accords, rétorque Paris.
Le 4, le président Bazoum avertit que le Sahel pourrait passer sous "influence" de la Russie, via le groupe paramilitaire Wagner.
La Cedeao décide de déployer sa force
Le 7, le régime militaire nomme un Premier ministre civil, Ali Mahaman Lamine Zeine.
Tout en disant toujours privilégier le dialogue, la Cedeao ordonne le 10 le déploiement de sa "force en attente", pour "rétablir l'ordre constitutionnel".
Le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken plaide le 11 pour une "résolution pacifique de la crise".
Les auteurs du coup d'Etat annoncent le 13 vouloir "poursuivre" le président renversé Mohamed Bazoum pour "haute trahison".
Ambassadeur de France sommé de partir
Les militaires proposent le 19 une période de transition de trois ans maximum, "inacceptable" pour la Cedeao. L'Union africaine suspend le Niger de ses institutions le 22.
Le 25, le régime donne 48 heures à l'ambassadeur de France pour quitter le Niger. Paris ayant répondu que "les putschistes n'ont pas autorité" pour une telle requête, les militaires ordonnent le 31 l'expulsion du diplomate.
Le régime annonce suspendre toutes les activités des organisations internationales dans les "zones d'opérations" militaires.
Bras de fer avec Paris
Pendant plusieurs jours début septembre, des manifestations demandent le départ des soldats français.
Le régime accuse le 9 la France de préparer une "agression" contre le Niger, Paris dément.
Le 10 septembre, Emmanuel Macron assure qu'un éventuel redéploiement des forces françaises ne sera décidé qu'à la demande du président Bazoum.
Mali, Burkina Faso et Niger signent le 16 une alliance défensive.
Le 24 septembre, Emmanuel Macron annonce finalement le retour "dans les prochaines heures" de l'ambassadeur français à Niamey, et le départ des troupes françaises "d'ici la fin de l'année".
Principe de réalité
Le principe de réalité a fini par l'emporter. Au Niger, l'ambassadeur que Paris refusait de rappeler était reclus dans l'ambassade française, sans immunité diplomatique, avec des réserves de nourriture et d'eau qui s'épuisaient.
Sur la base de Niamey, et sur les postes avancés dans le nord-ouest reculé à Ouallam et Ayolou, le ravitaillement des troupes se faisait dans "des conditions plus ou moins compliquées", selon l'état-major français. Les 1.500 soldats et aviateurs présents au Niger s’étaient retrouvés sans mission, leurs drones, hélicoptères et avions de chasse restant cloués au sol.
En outre, la France, ancienne puissance coloniale, qui possède encore plusieurs bases africaines - au Tchad, en Côte d'Ivoire, au Sénégal, au Gabon, et à Djibouti -, est apparue rapidement isolée. Ses alliés occidentaux se sont démarqués de sa politique d'inflexibilité au Niger.
"Avec cet énième revers, la France voit son influence et sa puissance se réduire comme peau de chagrin en Afrique de l’Ouest en particulier et en Afrique de manière générale", juge le quotidien sénégalais Walf Quotidien.
Pour le chercheur Fahiraman Rodrigue Koné, de l'Institut des études de sécurité (ISS), "la France n'a pas su se retirer au bon moment et a voulu continuer de jouer le leader dans un contexte où l’environnement sociologique a fortement changé".
Le retrait du Niger représentera un défi logistique pour les armées françaises s'il doit se faire en trois mois, sur fond de dégradation de la situation sécuritaire dans tout le Sahel. Au Niger seulement, une dizaine d'attaques djihadistes ont fait plus d'une centaine de morts dont une moitié de civils depuis le 26 juillet.
Calme à Niamey après l'annonce du départ des soldats français
Aucune manifestation n'était prévue lundi matin dans la ville, où les habitants circulaient normalement.
Des soldats, arme au poing, ont pris position devant l'enceinte de l'ambassade de France. Des véhicules militaires y sont également stationnés.
Aucun mouvement particulier laissant supposer un départ de l'ambassadeur français Sylvain Itté n'a été observé depuis dimanche soir autour de l'ambassade.
La décision était saluée par plusieurs Nigériens interrogés dans les rues de la capitale.
"Il faut que les militaires français quittent immédiatement (le pays) puisque vraiment, on n'a pas besoin d'eux", a affirmé Marzouk Doulla à l'AFP, dans le quartier populaire de Yantala, proche de l'ambassade française.
"Ils disent qu'ils nous aident" mais "on n'a vu aucun changement", a-t-il ajouté, en référence à la présence de quelque 1.500 soldats français au Niger dans le cadre de la lutte antidjihadiste.
Un point de vue partagé par un autre habitant, Abdoulkari Hassane Maikano.
"Ca fait très longtemps que la France a amené son l'armée ici au Niger mais ils n'ont pas pu éradiquer le terrorisme", déplore-t-il.
Les militaires au pouvoir à Niamey ont célébré dimanche soir "une nouvelle étape vers la souveraineté du Niger".