MARSEILLE : Pour eux, la Méditerranée est d'abord une frontière, franchie parfois au péril de leur vie. Mais une fois l'eldorado européen atteint, ces exilés en quête d'un avenir meilleur entament un nouveau parcours du combattant. Trois étrangers en situation irrégulière vivant à Marseille témoignent.
«Nous avons passé 24 heures sur l'eau sans manger, sans boire, sans faire nos besoins»: comme beaucoup de candidats à l'exil venant d'Afrique, Boubacar (le prénom a été modifié), mineur guinéen arrivé à Marseille il y a une dizaine de jours, a d'abord débarqué sur l'île italienne de Lampedusa.
De là, le jeune garçon, qui s'exprime dans un très bon français, a réussi à gagner Nice puis Marseille, où il dort dans la rue, en attendant sa prise en charge par le département des Bouches-du-Rhône.
Ce dernier, qui dit faire face à une «arrivée massive de nouveaux migrants se déclarant mineurs», près de 2.000 en 2023, a annoncé l'ouverture ce vendredi d'un nouveau centre pouvant «accueillir jusqu'à 100 personnes dans des conditions décentes et sécurisées».
L'accueil des migrants devrait être au cœur du message du pape François, attendu ce vendredi à Marseille pour une visite de deux jours consacrée à la Méditerranée et au défi migratoire.
«Je voudrais rester en France, je veux étudier surtout, c'est mon rêve», martèle l'adolescent, seul de sa fratrie à avoir pu aller à l'école primaire, avant que sa mère ne le confie à un oncle. «Je voulais étudier mais lui, il voulait que je fasse un métier tout de suite», alors «il m'a chassé de chez lui», raconte Boubacar, qui vit désormais, avec une trentaine d'autres mineurs isolés, dans un campement de fortune installé le long du prestigieux lycée Thiers.
«Les gens n'ont pas d'endroit où dormir, dans le même temps, il y a des logements vides inoccupés», pointe également Francky Domingo, 47 ans, président du Collectif des demandeurs de papiers de Marseille, créé en 2020. «Nous on ne vit pas, on survit», poursuit l'homme, originaire du Bénin, qu'il a quitté pour la France il y a bientôt six ans.
- «Il faut être tenace» -
«Les Français ne savent pas ce que les demandeurs de papiers vivent. Rapprochez-vous d'un migrant, croisez-le simplement dans la rue, écoutez-le juste cinq minutes, je parie que vous allez repartir les larmes aux yeux», développe-t-il dans un café de La Canebière, artère cosmopolite en plein cœur de Marseille.
Pourtant, «la charte des Nations unies le dit, en tant qu'humains, nous avons tous droit d'habiter où nous voulons», insiste l'homme au regard malicieux.
Accès aux soins, ouverture d'un compte bancaire: «Ce sont des droits qui devraient être spontanés, mais nous sommes obligés de les arracher par la lutte: l'Etat français parfois fait tout pour vous décourager» alors «il faut être tenace», conseille Francky.
Un combat au quotidien souvent éreintant, abonde Yasmine (le prénom a été modifié), Algérienne de 51 ans arrivée en France avec sa famille en 2018.
«On est tout le temps stressé, c'est difficile», raconte-t-elle d'une voix trahissant son épuisement. «On veut déposer un dossier pour la régularisation mais il faut 24 fiches de paye, que mon mari n'a pas encore», poursuit la mère de famille de trois enfants, qui œuvre comme bénévole auprès de plusieurs associations, faute de trouver un emploi malgré son diplôme d'ingénieure en travaux publics.
«L'Etat français dit qu'avant d'avoir le titre de séjour, tu dois travailler. Dans le même temps, il interdit aux employeurs d'embaucher quelqu'un qui n'a pas de papiers. C'est le serpent qui se mord la queue», résume Francky Domingo.
En janvier 2022, le mari de Yasmine, ingénieur en génie civil et titulaire d'un master d'une grande école parisienne, a finalement trouvé un travail dans un bureau d'études. Mais cette embauche lui a fait perdre le bénéfice de l'aide médicale de l'Etat, à laquelle ont droit les étrangers en situation irrégulière.
«C'est comme être dans une grande prison», ajoute-t-elle, avouant qu'il lui arrive parfois de regretter leur départ pour la France.
Malgré les difficultés pourtant, le retour dans le pays d'origine est rarement une option.
«Je n'avais pas le choix», souligne Boubacar: «Je savais que ça allait beaucoup affecter ma mère», «mais mon rêve, c'est de sortir toute la famille de cette misère».
«C'est un sacrifice par rapport à mes enfants, je veux qu'ils étudient, qu'ils aient un avenir meilleur», avance également Yasmine.
Car pour Francky, «en quittant l’Afrique, c'est l'espoir de toute une famille que tu portes».