PARIS: D'abord l'incrédulité, puis le sentiment d'injustice et d'impuissance. "On ne sait pas combien de temps cela va durer, on ne sait pas ce qu'attendent les Iraniens et on ne le saura sans doute jamais": Sylvie Arnaud est la mère de Louis, un des quatre Français emprisonnés en Iran.
Comme Louis, arrêté le 28 septembre 2022, plusieurs dizaines d'Occidentaux sont détenus en Chine, en Iran, en Russie ou au Venezuela, accusés le plus souvent d'espionnage ou de complot contre l'Etat mais qui clament leur innocence.
Leurs pays dénoncent des détentions "arbitraires" utilisées comme monnaie d'échange. La France évoque même des "otages d'Etat".
"Au début, je n'ai pas voulu penser que c'était politique. Et le temps est passé", confie Sylvie Arnaud. "Sans que rien ne se passe".
Faire libérer ces prisonniers est devenu un casse-tête diplomatique, qui peut prendre des années au prix d'importantes concessions.
Les Etats-Unis viennent ainsi d'autoriser le transfert de six milliards de dollars de fonds iraniens gelés en Corée du Sud et la libération de cinq Iraniens pour faciliter la remise en liberté de cinq Américains qui étaient détenus dans la prison d'Evin.
Fin mai, l'humanitaire belge Olivier Vandecasteele a été relâché après 15 mois de détention en Iran, en échange d'un diplomate iranien, Assadollah Assadi, condamné en Belgique en 2021 à 20 ans de prison pour "tentative d'assassinats terroristes".
En octobre 2022, sept prisonniers américains détenus au Venezuela avaient été libérés en échange de deux proches du président Maduro.
«Simulacre de procès»
Toutes ces concessions suscitent des critiques.
"Le dilemme des gouvernements est assez classique", explique Etienne Dignat, professeur à Sciences Po et auteur d'un livre sur les otages. "En dégelant des avoirs, en échangeant des prisonniers, ils récompensent d'une certaine manière un crime et encouragent les Etats à poursuivre leur diplomatie des otages".
La critique est "d'autant plus fondée", dit-il, que Moscou, Téhéran ou Pékin ciblent des individus en fonction de leur nationalité "contrairement aux groupes armés qui ne connaissent souvent pas à l'avance l'identité de la personne qu'ils capturent".
Le nombre de cas "d'otages d'Etat" connus publiquement s'est ainsi accru "ces dernières années", souligne Daren Nair, consultant en sécurité et militant pour la libération des otages.
Citant l'exemple des Etats-Unis, il note que "la majorité des Américains détenus à l'étranger il y a dix ans l'étaient par des acteurs non étatiques dans des pays comme la Syrie, le Yémen et la Somalie".
Aujourd'hui, la majorité d'entre eux sont aux mains de l'Iran, du Venezuela, de la Russie et la Chine.
Le journaliste américain du Wall Street Journal, Evan Gershkovich, est lui emprisonné à Moscou depuis mars tandis que l'ex-Marine Paul Whelan purge depuis 2020 une peine de 16 ans de prison.
La réalité est qu'"en général, la seule façon de ramener un otage chez lui est de négocier", observe Joel Simon, fondateur de Journalism Protection Initiative.
Sans dialogue "avec les preneurs d'otages – qu'ils soient étatiques ou non – l'otage sera probablement tué ou croupira en détention ou en prison pendant une période prolongée", dit-il.
La tâche des gouvernements est d'autant plus complexe dans le cas des "otages d'Etat" que "le procédé est plus pernicieux" que pour les otages de groupes terroristes, poursuit Etienne Dignat.
Les Russes, les Iraniens ou les Chinois adoptent "un registre juridique", "mettent en place un simulacre de procès", "enferment dans de véritables prisons". La contrepartie se négocie en coulisses.
"C'est un point essentiel, car cette ambiguïté profite toujours aux Etats procédant à des arrestations", explique-t-il, surtout lorsqu'il s'agit de journalistes ou de chercheurs recueillant des informations ou travaillent dans le domaine de la sécurité.
"Cela n'en fait évidemment pas des espions mais c'est une raison suffisante pour agir aux yeux de régimes autoritaires", dit-il.
«Sanctionner au sommet»
Blandine Brière n'a, elle, jamais douté de l'innocence de son frère, un des deux Français libérés en mai dernier.
"On est des gens lambda", confie-t-elle à l'AFP. Elle a découvert l'expression "otage d'Etat" après l'arrestation de Benjamin en mai 2020.
Rendre publiques ces détentions complexifie aussi la tâche des négociateurs.
Les familles marchent, elles, "constamment sur des œufs", conscientes que leur soutien affiché peut compromettre ou accélérer la libération d'un proche, explique Blandine Brière. Elles se conforment le plus souvent aux recommandations gouvernementales mais s'interrogent sur les véritables "enjeux".
Pour Daren Nair, on ne pourra décourager la diplomatie des otages que si l'on sanctionne "les individus au sommet".
Dans les pays qui usent de cette pratique, "le pouvoir est concentré au sommet, imposer des sanctions à un juge ou à un fonctionnaire de niveau intermédiaire n'aura donc pas un impact suffisamment significatif", tranche-t-il.