PARIS: L'enseigne E.Leclerc, en plein essor depuis plusieurs années, s'est construite autour d'une obsession du prix bas, aussi bien côté achats que côté coûts de fonctionnement, une méthode que s'efforce de décortiquer jeudi l'émission Complément d'enquête sur France 2.
Le reportage diffusé jeudi soir met en lumière des méthodes sans concessions de l'enseigne, qui pèse près du quart du gigantesque marché de la grande distribution alimentaire en France dont il est le leader.
Relations avec les fournisseurs
Complément d'enquête lui reproche par exemple d'acheter en promotion auprès de ses fournisseurs des produits qui seront ensuite vendus hors promotions dans les magasins.
Sollicitée jeudi matin par l'AFP, la communication de l'enseigne dont les ventes ont grimpé de 8,5% en 2022 pour s'établir à 55,6 milliards d'euros, a indiqué ne pas être en mesure, "pour l'instant", de commenter.
Un magasin est en outre accusé d'avoir employé une intérimaire, payée par un fournisseur pour une animation en rayons, à faire de toutes autres tâches. On reproche à un autre d'avoir recours à l'image d'un fournisseur agriculteur bien après la rupture de leurs relations commerciales.
E.Leclerc est régulièrement pointé du doigt par ses fournisseurs qui lui reprochent d'être impitoyable dans les négociations - ce que son médiatique représentant, Michel-Edouard Leclerc qui est président du comité stratégique de l'enseigne, assume volontiers, en tout cas vis-à-vis des plus gros industriels.
Créée au mitan du XXe siècle par Edouard Leclerc, le père de Michel-Edouard, l'enseigne s'est développée sur la promesse du prix bas. Un argument toujours porteur vis-à-vis des clients, d'autant plus dans une période de forte inflation.
Pour vendre au meilleur prix, E.Leclerc réduit généralement autant que possible ses coûts de fonctionnement. Dans un livre (éditions Plon) très fouillé sur Michel-Edouard Leclerc, la journaliste du média spécialisé LSA Magali Picard écrivait que son modèle était "le plus économe du paysage de la grande distribution".
Elle y cite un adage interne qui voudrait que "tout ce qui coûte nous dégoûte".
Complément d'enquête en trouve une traduction concrète dans un magasin: il est proposé à une candidate à l'embauche, plutôt qu'un contrat à durée déterminée, un contrat à durée indéterminée avec une lettre de démission antidatée. Face caméra, il est expliqué à cette personne que c'est parce que le CDD est "taxé de façon très importante".
Les conditions de travail chez E.Leclerc, qui indique employer 140 000 personnes en France, sont parfois pointées du doigt par les organisations syndicales, qui n'ont souvent que peu de poids dans l'enseigne en raison notamment de son organisation: chaque magasin, ou presque, est une entreprise autonome.
Performances spectaculaires
Comme Intermarché, troisième distributeur français, ou Système U, le quatrième, E.Leclerc est en effet un groupement d'indépendants. A contrario de son dauphin en France, Carrefour, du nordiste Auchan ou du stéphanois Casino.
Les 544 patrons exploitant au total 734 magasins doivent respecter un certain nombre de règles pour faire partie du "mouvement", notamment celle d'avoir des prix en moyenne moins chers que leurs concurrents. Mais ils ont plus de marge de manoeuvre que dans les groupes précédemment cités et sont ensemble les vrais décisionnaires.
Du point de vue social, la charte E.Leclerc les oblige à reverser aux salariés 25% du bénéfice net annuel avant impôts du magasin, mais "chaque politique sociale relève de chaque magasin", écrivait Magali Picard en février dernier.
Les performances commerciales de l'enseigne sont en tout cas spectaculaires. "La croissance de Leclerc s'est brutalement accélérée au printemps lorsque l'inflation cumulée a dépassé les 20%", relevait fin août le spécialiste du secteur Olivier Dauvers, l'enseigne apparaissant alors "comme le refuge ultime aux yeux d'une part importante des consommateurs".
Plus prosaïquement, l'enseigne bien implantée notamment en Bretagne bénéficie aussi d'un dynamisme de la consommation de plus en plus fort dans le Grand Ouest, qui "se confirme" depuis 2019 comme l'a récemment relevé le cabinet spécialisé Circana.