RIYAD/VARSOVIE : En accueillant les dirigeants du monde entier à New Delhi vendredi, l'Inde a établi un précédent dans l'histoire du G20 en invitant un nombre inédit de pays du Moyen-Orient à participer en tant qu'invités au sommet clé du groupe.
Le Groupe des 20 plus grandes économies mondiales, a toujours joué un rôle important pour la région du Moyen-Orient depuis sa création en 1999, notamment en raison de la présence de l'Arabie saoudite et de la Turquie parmi ses membres.
Cependant, ce n'est qu'en 2008 que le groupe a commencé à organiser son sommet annuel des dirigeants, ouvrant la porte à la participation de pays non membres,comme ceux du Moyen-Orient.
Les pays hôtes, ainsi que ceux qui occupent la présidence tournante du groupe, peuvent inviter des pays non membres à leurs réunions ministérielles, de sherpa et de travail, ainsi qu'au sommet des dirigeants.
Ces invitations visent à renforcer la légitimité du G20 et à favoriser son rayonnement mondial. Alors que certains pays, comme l'Espagne, sont des invités permanents, l’invitation d’autres pays non membres varie généralement d'une année à l'autre.
Cette année, sous la présidence de l'Inde, les pays arabes non-membres ont bénéficié d'une représentation sans précédent, avec trois d'entre eux participant aux réunions ministérielles, sherpa et de groupes de travail depuis le début de l'année.
Ils seront également présents au sommet des dirigeants qui se tiendra samedi et dimanche.
L'Inde a adressé des invitations à neuf pays non-membres, dont l'Égypte, Oman et les Émirats arabes unis.
«Les Émirats arabes unis, Oman et l'Égypte, ainsi que l'Arabie saoudite, sont les partenaires économiques et de défense les plus étroits de l'Inde au Moyen-Orient. Il n'est donc pas surprenant que New Delhi ait choisi de les inviter au sommet du G20, parmi quelques autres nations», déclare à Arab News le Dr. Hasan T. Alhasan, chercheur en politique au Moyen-Orient à l'Institut international d'études stratégiques.
«L'Inde profite de sa présidence du G20 pour mettre en avant son influence mondiale auprès de ses partenaires du Moyen-Orient et montrer l'étendue de ses partenariats aux autres États membres du G20.»
Les liens de l'Inde au Moyen-Orient sont particulièrement solides avec l'Arabie saoudite, mais la décision de Delhi d'engager ses trois autres partenaires majeurs du Moyen-Orient montre à quel point elle accorde une importance à ces relations, qui vont au-delà de la politique étrangère de l'Inde.
Les relations, en particulier avec les pays du Conseil de coopération du Golfe, ont été une priorité pour l'administration du Premier ministre Narendra Modi au cours des neuf dernières années.
«Depuis l'accession de Modi au pouvoir en 2014, l'Inde a considérablement renforcé sa coopération en matière de sécurité et de défense dans le Golfe avec l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Oman. Elle organise désormais régulièrement des exercices militaires et des consultations de haut niveau en matière de défense avec ses trois partenaires du Golfe» déclare Alhasan.
Cette coopération s'étend également à la sécurité énergétique. L'Inde représente le troisième plus grand marché pétrolier du CCG et tire environ un tiers de son approvisionnement en pétrole des six États membres de ce bloc. De plus, la moitié de son approvisionnement en gaz naturel liquéfié provient du Qatar, des Émirats arabes unis et d'Oman.
«Étant donné que l'Inde devrait contribuer de manière significative à la croissance de la demande mondiale de pétrole d'ici 2045, les exportateurs de pétrole du CCG sont déterminés à sécuriser une part à long terme sur le marché pétrolier indien», ajoute Alhasan.
«De manière similaire, l'Inde a consolidé ses relations politiques avec les exportateurs de pétrole et de gaz du CCG pour se prémunir contre les bouleversements géopolitiques et garantir un approvisionnement stable en énergie.»
L'Inde possède des intérêts cruciaux au Moyen-Orient. Bien que l'importance de sa politique étrangère dans cette région soit devenue manifeste sous Modi, cette orientation remonte à environ trois décennies, comme en témoigne le nombre croissant de citoyens indiens ayant choisi de s'installer et de travailler dans les pays du Golfe.
À l’heure actuelle, environ 9 millions d'Indiens résident en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis, au Koweït, au Qatar, à Oman et à Bahreïn.
Pour le Dr. Krzysztof Iwanek, chef du Centre de recherche sur l'Asie à l'Université des études militaires de Varsovie, en Pologne, outre le pétrole brut, la «présence massive de main-d'œuvre indienne» est l'un des piliers de la coopération de l'Inde avec les États arabes.
«Il existe un potentiel de coopération encore plus important dans d'autres domaines, tels que la sécurité alimentaire et l'attraction d'investissements supplémentaires des pays du Golfe vers l'Inde. Ainsi, au cours des dernières décennies, la politique étrangère indienne a réussi à établir des relations positives et apaisées avec les pays musulmans du Moyen-Orient», déclare-t-il.
«À titre d’exemple, l'Inde a refusé de participer à l'offensive américaine en Irak en 2003, consciente que cela aurait été mal perçu par de nombreux États arabes.»
Il existe également une dynamique de concurrence avec le rival régional de l'Inde, la Chine. En effet, les relations entre Delhi et Pékin sont de plus en plus tendues, non seulement en raison de leur différend frontalier, qui a récemment connu des épisodes de violences, mais aussi en raison de leurs efforts pour se positionner en tant que superpuissances.
La plateforme du G20 a donné à l'Inde une opportunité significative pour renforcer ses engagements au Moyen-Orient par rapport à la Chine.
Selon Marita Kassis, analyste politique basée à Beyrouth et spécialiste des médias au Moyen-Orient : «L'Inde semble avoir un intérêt national indéniable à consolider ses relations avec les pays de la région.»
«Pendant les derniers mois, l'Inde a utilisé la dynamique du G20 pour développer son cadre géopolitique. À la suite des affrontements frontaliers de 2020, les relations entre l'Inde et la Chine se sont tendues. Les deux pays sont engagés dans une stratégie de sécurité concurrentielle dans leur ouverture au Moyen-Orient.»
L'approche de Delhi vise également à renforcer la coopération avec les partenaires traditionnels des États-Unis dans la région, une démarche que Kassis qualifie de « compétition directe» avec Pékin.
«L'accent est mis sur la géoéconomie en favorisant les connexions régionales, les projets basés sur la science, la collaboration économique et militaire grâce à une entente avec le Commandement central des États-Unis à Bahreïn via la Marine indienne", explique-t-elle.
«L'intérêt pour le renforcement des relations entre l’Inde et le Moyen-Orient demeure un plan stratégique significatif alors que la région cherche à entreprendre de nouveaux projets, à saisir de nouvelles opportunités économiques et technologiques, et à créer de nouvelles dynamiques politiques à l’échelle mondiale.»
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com