PARIS: Les putschistes au Gabon et au Niger ont un profil similaire mais les circonstances des coups d'Etat survenus à un mois d'intervalle sont très différentes, souligne Elie Tenenbaum, chercheur à l'Institut français des relations internationales. Dans les deux cas, ils ne sont pas sans conséquences pour la France en Afrique.
QUESTION: Quels sont les points communs et les différences entre le coup d'Etat au Niger et le putsch au Gabon?
REPONSE: C'est le même profil de gens qui s'emparent du pouvoir: des militaires d'une garde présidentielle censés être les garants du régime et qui sont ceux les plus à même de le renverser. Mais il y a beaucoup de différences entre les deux coups d'Etat.
Le régime initial n'est pas le même. La légitimité de la réélection d'Ali Bongo était posée quand la légitimité de Mohamed Bazoum était réelle.
Le Gabon fait partie des pays d'Afrique centrale dominés par des régimes autoritaires, familiaux, installés depuis fort longtemps, contrairement au Niger où il y eu des alternances.
De plus, au Niger, la situation sécuritaire s'améliorait mais restait très compliquée là où au Gabon, il n'y a pas de fortes tensions sécuritaires, pas de guerre civile, pas de terrorisme ou de menace sécuritaire imminente.
D'ailleurs, les putschistes au Gabon dans leur communiqué ce matin évoquent une crise institutionnelle, politique, économique et sociale.
Au Niger, les militaires ont pris le pouvoir au prétexte de répondre à des questions de sécurité.
Afrique: avec le Gabon, huit coups d'Etat en trois ans
Avec le putsch de mercredi au Gabon, l'Afrique a connu huit coups d'Etat depuis août 2020, principalement dans des pays francophones.
Au Gabon, pays d'Afrique centrale dirigé depuis plus de 55 ans par la famille Bongo, des militaires putschistes ont annoncé mercredi avoir mis "fin au régime en place" et placé en "résidence surveillée" le président Ali Bongo Ondimba, dont la réélection venait d'être annoncée. La France, ex-puissance coloniale, et l'Union africaine, notamment, ont condamné ce coup d'Etat.
Niger
Le 26 juillet 2023, des militaires annoncent avoir renversé le président Mohamed Bazoum. Le général Abdourahamane Tiani devient le nouvel homme fort du pays.
La Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) annonce le 10 août son intention de déployer une force régionale pour "rétablir l'ordre constitutionnel", tout en continuant de privilégier la voie diplomatique.
Les militaires proposent une période de transition de "trois ans" maximum avant de rendre le pouvoir aux civils.
Burkina Faso: deux putschs en 8 mois
Le 24 janvier 2022, le président Roch Marc Christian Kaboré est chassé du pouvoir par des militaires, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba est investi président en février.
Le 30 septembre, Damiba est à son tour démis de ses fonctions par des militaires, le capitaine Ibrahim Traoré est investi président de transition jusqu'à une élection présidentielle prévue en juillet 2024.
Soudan
Le 25 octobre 2021, des militaires menés par le général Abdel Fattah al-Burhane chassent les dirigeants civils de transition, qui étaient supposés mener le pays vers la démocratie après 30 ans de pouvoir d'Omar el-Béchir, lui-même destitué en 2019.
Depuis le 15 avril 2023, une guerre due à une lutte de pouvoir entre le général Burhane et son ancien second Mohamed Hamdane Daglo a fait au moins 5.000 morts dans le pays.
Guinée
Le 5 septembre 2021, le président Alpha Condé est renversé par un coup d'Etat militaire. Le 1er octobre, le colonel Mamady Doumbouya devient président.
Les militaires ont promis de rendre la place à des civils élus d'ici à fin 2024.
Mali: deux coups d'Etat en 9 mois
Le 18 août 2020, le président Ibrahim Boubacar Keïta est renversé par des militaires, un gouvernement de transition est formé en octobre.
Mais le 24 mai 2021, les militaires arrêtent le président et le Premier ministre. Le colonel Assimi Goïta est investi en juin comme président de transition.
La junte s'est engagée à rétrocéder le pouvoir aux civils après des élections prévues en février 2024.
Q: Faut-il s'attendre à une poussée du sentiment anti-français à l'occasion de ce putsch?
R: Pour l'instant, la situation est très volatile mais il n'y a pas eu de déclaration hostile à la France.
Au Niger, comme au Gabon, ce ne sont pas des coups anti-français. La motivation initiale est la prise de pouvoir. Les putschs reflètent des tensions politiques internes. Le problème est que la France est associée au soutien de ces régimes, de manière relativement récente en ce qui concerne le président Mohamed Bazoum et de manière très ancienne et historique avec Ali Bongo. La famille Bongo est indissociable du soutien que la France lui a apportée depuis son avènement au pouvoir en 1967. Tous les Gabonais et Gabonaises associent le pouvoir de Libreville au soutien français.
On peut donc redouter que la volonté de rupture politique avec la famille Bongo passe aussi par une volonté de rupture avec ceux qui ont été ses partenaires les plus proches dont la France.
Et si la France n'a plus de volonté de protéger les régimes autocrates, elle continue d'être ciblée par des mouvements panafricains pour une ingérence qui, de fait, n'existe plus mais qui continue d'être stigmatisée, fustigée par les opposants.
La France devient un épouvantail politique extrêmement utile pour tous les pouvoirs en transition surtout quand ceux-ci sont eux-mêmes condamnés pour la manière dont ils sont arrivés au pouvoir.
Q: Quelles sont les conséquences pour la politique de la France en Afrique ?
R: Le Gabon fait partie des pays qui ont une présence militaire française ancienne et cadrée. Le pays compte entre 350 et 400 coopérants militaires et la base navale de Port-Gentil.
Cette présence a été considérablement réduite puisqu'en 2012, il y avait encore près d'un millier d'hommes sur la zone qui s'est transformée en pole opérationnel de coopération.
Le Gabon est l'un des trois pays avec le Sénégal et la Côte d'Ivoire où sont déployées des forces permanentes françaises. Il faut y ajouter le Niger et le Tchad où se trouvent des forces opérationnelles.
Sur le plan économique, les échanges se sont considérablement réduits entre la France et le Gabon. En dépit d'une légère reprise avec la crise ukrainienne, les importations françaises en 2022 culminaient à 300 millions d'euros. C'est deux fois moins qu'avec la Lettonie! Mais le passé avec des affaires comme celles d'Elf Gabon sont des choses qui restent en mémoire et qui pourraient se retourner contre la France.