WASHINGTON: Joe Biden, en organisant un sommet inédit vendredi dernier près de Washington avec le Japon et la Corée du Sud, a montré qu'il poursuivait sa stratégie de multiplication des alliances pour faire face aux adversaires des Etats-Unis, malgré la crainte d'un changement de bord lors de la prochaine présidentielle américaine.
Depuis l'arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche début 2021, l'Otan s'est étendu et a resserré ses rangs face à l'invasion russe de l'Ukraine. En Asie, pour faire face à la Chine, Washington a forgé une alliance avec le Royaume-Uni et l'Australie (AUKUS) et a relancé le Quad, qui implique aussi l'Australie, avec le Japon et l'Inde.
Les Etats-Unis étaient déjà proches de la Corée du Sud et du Japon qui, à eux deux, accueillent sur leurs sols quelque 85.000 soldats américains. Mais ils prévoient désormais également des exercices militaires conjoints sur plusieurs années, un meilleur échange d'informations, et une ligne directe d'alerte.
«Aucune certitude»
"Cette administration croit fondamentalement en la primauté - pas l'importance, la primauté - des partenariats", estime Jon Alterman, chercheur au cercle de réflexion Center for Strategic and International Studies de Washington, soulignant que ces partenariats diplomatiques peuvent favoriser la confiance de certains pays envers les Etats-Unis.
"Mais la difficulté, c'est que tous nos partenaires se souviennent de l'ancienne administration, ils regardent les sondages, et ils n'ont aucune certitude sur la position des Etats-Unis dans deux, cinq, dix ans", ajoute-t-il.
Donald Trump remettait en cause le bien-fondé des alliances, critiquant par exemple l'Allemagne et la Corée du Sud, qui selon lui n'investissaient pas assez dans leur propre budget de défense, alors que les Etats-Unis assuraient la présence de bases américaines chez eux.
L'ancien président, en campagne pour revenir à la Maison Blanche, domine les autres candidats républicains dans les sondages des primaires.
En outre, le soutien des Américains à l'aide militaire massive à l'Ukraine s'étiole.
"La politique de +l'Amérique d'abord+, s'éloigner du reste du monde, nous a rendus plus faibles, pas plus forts," a déclaré Joe Biden vendredi aux côtés du Premier ministre japonais Fumio Kishida et du président sud-coréen Yoon Suk Yeol.
"L'Amérique est forte avec nos alliés et nos alliances, et c'est comme ça qu'on va perdurer", a dit le démocrate.
«Mini-Otan»
Si en Europe, Washington bénéficie d'une alliance collective - l'Otan -, le cas de l'Asie est bien différent: Washington a noué des alliances bilatérales, notamment en raison de l'animosité entre Séoul et Tokyo.
Avec l'apaisement de leurs relations, les deux pays ont rendu possible le sommet de Camp David vendredi - et la stratégie d'alliance pensée par Joe Biden.
Ces trois-là ont affirmé lors du sommet leur vision d'un "ordre international basé sur la règle de droit" - un signal à la Chine mais aussi à la Russie dans sa guerre contre l'Ukraine, que le Japon et la Corée du Sud soutiennent.
Pékin a d'ailleurs vu d'un mauvais oeil le sommet de Camp David, des médias proches du pouvoir y voyant un "mini-Otan", même s'il n'y a pas de promesse d'assistance mutuelle en cas d'agression.
Ce n'est sans doute même pas souhaité par les trois pays, estime Shihoko Goto, chercheuse spécialiste de l'Asie au cercle de réflexion Wilson Center de Washington, qui voit l'accord de vendredi comme un nouvel élément dans un "entrelacs" d'alliances.
Au sein "d'une approche multiple, cela pourrait en réalité être très fort", ajoute-t-elle.
Brics
Joe Biden a mené une approche bilatérale avec des pays qui s'inquiètent de la puissance de la Chine ou de la Russie. Il compte ainsi bientôt se rendre au Vietnam, dans les relations avec Pékin sont tendues.
Mais son pari de se rapprocher de l'Inde s'est opposé à la neutralité historique du pays et son refus de prendre part aux grandes alliances - New Delhi est néanmoins membre du groupe des "Brics" (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), Etats qui se réunissent cette semaine à Johannesburg.
L'inquiétude qui pèse sur la pérennité de ces alliances avec les Etats-Unis n'est pas uniquement due à un possible retour de Donald Trump à la Maison Blanche. Yoon Suk Yeol devra notamment quitter la présidence sud-coréenne en 2027.
"Si un président d'extrême gauche est élu en Corée du Sud et un dirigeant très à droite au Japon, ou si Trump ou quelqu'un comme lui l'emporte aux Etats-Unis, un seul d'entre eux pourrait faire dérailler tout le travail précieux que ces pays réalisent en ce moment", prévient Duyeon Kim, chercheuse au groupe de réflexion Center for a New American Security à Washington.