Israël se trouve à la croisée des chemins après la victoire à la Pyrrhus de Netanyahou

Benjamin Netanyahou observant les parlementaires israéliens voter sur un projet de loi  limitant le pouvoir de la Cour suprême, le 24 juillet 2023. (Reuters).
Benjamin Netanyahou observant les parlementaires israéliens voter sur un projet de loi limitant le pouvoir de la Cour suprême, le 24 juillet 2023. (Reuters).
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Publié le Jeudi 27 juillet 2023

Israël se trouve à la croisée des chemins après la victoire à la Pyrrhus de Netanyahou

Israël se trouve à la croisée des chemins après la victoire à la Pyrrhus de Netanyahou
  • La coalition d'extrême droite, dirigée par le chef du Likoud Benjamin Netanyahou, a remporté sa première victoire après une bataille de six mois visant à saper le pouvoir de la Cour suprême israélienne
  • L'extrême droite veut changer la nature du pays, pour passer d'un État libéral, laïc et ouvertement démocratique à une entité religieuse, qui n'est pas différente de ce que Daech voulait créer

Les victoires, sur le champ de bataille comme sur la scène politique, peuvent souvent être de courte durée ou, pire encore, peuvent facilement finir par devenir des victoires à la Pyrrhus. C'est presque certainement ce qui s'est passé lundi, lorsque la coalition israélienne au pouvoir a adopté le premier article d'une refonte judiciaire controversée qui, selon les critiques, sapera l'indépendance ainsi que le contrôle du pouvoir judiciaire sur les politiques gouvernementales.

La coalition d'extrême droite, dirigée par le chef du Likoud Benjamin Netanyahou, a remporté sa première victoire après une bataille de six mois visant à saper le pouvoir de la Cour suprême israélienne, et rapprocher cet État vieux de soixante-quinze ans d'un statut d’État autoritaire. C'est l'avis de près de la moitié des Israéliens qui, par dizaines de milliers, ont manifesté contre la prétendue refonte judiciaire depuis qu'elle a été dévoilée pour la première fois en janvier.

Vue de l’extérieur, la querelle législative peut sembler obscure et impénétrable, mais pour la plupart des Israéliens, des deux côtés de la division, il s’agit d’une question de survie absolue: ce qui arrivera ensuite décidera de l'identité de l'État d’Israël. Cela devrait être important, non seulement pour les Israéliens, mais aussi pour tous ceux qui ont farouchement soutenu Israël depuis sa création.

Les pères fondateurs d'Israël avaient la vision d’un État laïc, libéral et socialiste. Le premier Premier ministre David ben Gourion aurait déclaré: «Bien que j’évoque souvent la Torah, permettez-moi de dire que... je ne suis pas religieux, pas plus que la majorité des premiers bâtisseurs d'Israël. Pourtant, leur passion pour cette terre est née du Livre des Livres... (La Bible est) le livre le plus important dans ma vie.»

Un critique israélien a affirmé que Ben Gourion avait planté les racines d'un État laïc mais qu’en même temps, il avait semé les graines de sa destruction – les graines du mal religieux messianique. Un autre historien a écrit dans Haaretz que Ben Gourion était un politicien pragmatique et, pour réaliser l'ambition de sa vie, l'établissement d’un État, il a fait appel au messianisme religieux car le nationalisme seul est une coquille vide qui a besoin de quelque chose de juteux à l'intérieur pour susciter l'enthousiasme. Il pensait sans doute qu'il serait capable de contrôler les mauvaises herbes sauvages qui pousseraient dans son jardin.

Ces mauvaises herbes fleurissent maintenant dans l'État d'Israël. Israël a été pris en otage par une coalition de partis d'extrême droite, chacun ayant son propre programme. Un Netanyahou lié politiquement dirige une coalition de fanatiques qui sont certains de faire passer Israël de l'État laïc, libéral et démocratique, image qu’il a voulu donner de lui au monde pendant de nombreuses années, à une entité ultra-orthodoxe inconnue. Elle ne sera certainement pas libérale, ni démocratique. Les followers d'Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich ont autre chose en tête. Alors que les deux politiciens autrefois marginaux ne sont peut-être pas d'accord sur tout, ils veulent tous deux voir un nouvel Israël: un Israël ultranationaliste et ultrareligieux, avec un programme qui cherche à recréer un Israël biblique.

Netanyahou, qui est aujourd'hui âgé de 73 ans et a des problèmes de santé, n'a peut-être jamais voulu diriger une telle coalition. Il est cependant douteux qu'il puisse désormais réfréner ses deux partenaires insoumis, Ben-Gvir et Smotrich. La plupart des analystes oublient que l'ensemble du plan de refonte judiciaire a été concocté par le ministre de la Justice du Likoud, Yariv Levin, qui est considéré par les critiques «comme donnant l'impression nette et claire qu'il ne cherche pas à améliorer le système judiciaire mais à le vider de son contenu».

Pour Netanyahou, qui est un acteur politique depuis le milieu des années 1990, l'objectif principal est de sauver sa carrière et lui-même. Il fait face à un certain nombre d'accusations graves, notamment de pots-de-vin et de corruption. Les modifications de la refonte judiciaire neutraliseraient le pouvoir judiciaire et lui fourniraient une voie de sortie – mais à quel prix?

Les experts pensent que Netanyahou est devenu l'otage de ses partenaires de la coalition. Personne ne sait ce qu'Israël deviendrait si l'alliance d'extrême droite, ultrareligieuse et ultranationaliste, mettait complètement à l'écart la Cour suprême.

Essayer de comprendre ce que veut l'extrême droite religieuse est complexe. Les laïcs mettent en garde contre le danger pour la démocratie libérale. L'influence des Haredim sur la politique israélienne est devenue substantielle. De plus, Israël est une mosaïque politique, avec 12 partis politiques représentés à la Knesset, et plus de 100 au total. La chute de l'Union soviétique, entraînant l'immigration de dizaines de milliers de Juifs en Israël, a modifié la carte démographique du pays.

Le test le plus crucial de l'unité d'Israël se déroule en ce moment même. L'extrême droite veut changer la nature du pays, pour passer d'un État libéral, laïc et ouvertement démocratique à une entité religieuse, qui n'est pas différente de ce que Daech voulait créer. Ce serait une société homophobe, misogyne et ultranationaliste.

Ce n'est pas ce que voulait Netanyahou voulait. Mais il est pris en otage par une coalition à l’agenda extrémiste. Cela inclut l'annexion de la Cisjordanie et la création d'un Grand Israël, avec lequel Netanyahou est d'accord. Mais le prix qu'il doit payer pour sa collusion avec les extrémistes pourrait être trop élevé.

«La refonte judiciaire neutraliserait le système judiciaire et fournirait à Netanyahou une voie de sortie – mais à quel prix?»

Osama Al-Sharif

L'impact des événements de lundi deviendra viral. Il y aura des manifestations de masse et des centaines, sinon plus, de réservistes de l'armée et de l'aviation qui resteront chez eux. Il y a un consensus parmi les cadres supérieurs de la sécurité et de l'armée qu'Israël souffrira et que l'establishment militaire pourrait même s'effondrer, quelque chose qui ne s'est jamais produit auparavant dans l'histoire de l'État.

La Histadrout, le plus grand syndicat du travail, pourrait bientôt déclarer une grève nationale. Israël est à un tournant décisif. Le mythe d'une démocratie libérale se trouve à la croisée des chemins, et aller de l'avant révélera le vrai visage du pays – un État d'apartheid qui normalise un système isolationniste, fasciste et ultrareligieux..

Osama Al-Sharif est un journaliste et commentateur politique, basé à Amman. Twitter: @platon010

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com