AMCHIT: Au nord de Beyrouth, écologistes et habitants se mobilisent pour défendre l'une des dernières plages publiques du Liban, menacée par un projet de construction qui met en danger une grotte servant parfois d'abri à un phoque moine, un animal rarissime.
Dans le pays qui borde la Méditerranée, plus de 80% de la côte n'est plus accessible librement du fait des constructions illégales, selon l'ONG libanaise Nahnoo luttant pour la préservation des espaces publics.
Dans la paisible localité de Amchit, où l'archéologue français Ernest Renan a séjourné au 19e siècle, les habitants se battent pour empêcher la construction d'une villa sur la plage, autorisée par les autorités.
Cette villa "ne doit pas être construite (...) au-dessus d'une grotte abritant un animal menacé d'extinction", affirme Farid Sami Abi Younes, un activiste local.
"Le phoque a choisi cette grotte pour la propreté de l'eau" et les galets sur lesquels il peut se reposer, ajoute cet architecte qui milite pour que "la grotte du phoque", comme l'appellent les habitants, soit classée réserve naturelle.
M. Abi Younes, 41 ans, fait partie des habitants privilégiés qui assurent, photos à l'appui, avoir vu l'animal, classé "en danger d'extinction" sur la liste rouge de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), lors d'une balade en kayak dans la grotte et ses eaux turquoise.
Autrefois abondants en Méditerranée, ces phoques moines qui ont abandonné les plages trop fréquentées pour se reproduire dans des grottes ne sont plus que quelques centaines.
Selon l'ONG Terre Liban, à l'initiative d'une campagne de sensibilisation, la grotte risque de s'effondrer en cas de travaux.
«Exceptions»
Profitant du chaos de la guerre civile (1975-1990), les habitations privées et centres balnéaires construits sur des terrains accaparés illégalement ont fleuri sur le littoral, empêchant l'accès libre à la côte.
Sur la côte au nord de Beyrouth, les luxueux centres balnéaires réclament des droits d'entrée pouvant aller jusqu'à plus de 30 dollars par jour, soit plus du tiers du salaire minimum d'un fonctionnaire dans le pays en plein effondrement économique.
Mohammad Ayoub, président de Nahnoo, affirme que son ONG a recensé plus de 1 100 empiètements sur le littoral.
Et sur les quelque 20% du littoral encore accessible, une grande partie est polluée par le déversement des eaux usées dans la mer, explique-t-il à l'AFP.
Un peu plus au nord de Amchit, deux projets balnéaires sont en construction par des promoteurs, malgré une décision des autorités en juin d'arrêter les travaux.
"Les travaux continuent discrètement. Regardez l'ampleur de ces empiètements", déplore Riad Nakhoul, un historien et militant local en montrant la côte bétonnée, sur laquelle une piscine est en train d'être creusée.
Clara Khoury, membre de Nahnoo, accuse elle aussi les autorités de fermer les yeux sur ces empiètements, désignant une villa en construction un peu plus loin, à quelques mètres de l'eau, qui empêcherait le libre accès à la mer.
"Au Liban malheureusement, quand les gens ont de l'influence, l'Etat leur fait des exceptions", déplore la militante énergique.
Privatisation
Si ces empiétements ne sont pas nouveaux, les Libanais se mobilisent désormais davantage pour défendre le domaine public, selon M. Ayoub.
Ainsi, à Kfarabida (nord) les habitants ont récemment remporté une "victoire", obtenant des autorités la destruction d'un chalet construit illégalement sur la plage publique à l'eau cristalline.
"Quand on a appris que le propriétaire voulait agrandir le chalet pour en faire une plage privée, on a décidé de se rassembler pour demander sa destruction", explique Tony Nassif, un militant de 26 ans.
Le mois dernier, sur la côte de Naqoura dans le sud, une mobilisation d'ONG pour l'environnement, dont Nahnoo, a permis l'arrêt de travaux de remblaiement sur une plage de cette région encore préservée.
Mais ailleurs, la privatisation des plages publiques a forcé les baigneurs à se replier sur d'infimes parties de la côte.
"Partout dans le monde la côte est gratuite", s'insurge Karl Metrebian, un autoentrepreneur de 32 ans, qui a étendu sa serviette sur un rocher à Kfarabida, après la privatisation de la plage où il se rendait depuis huit ans. "Pourquoi ce serait différent chez nous?", soupire-t-il.