SUR UN CAMP MILITAIRE EN POLOGNE: Dans un décor urbain fait d'immeubles en briques aux fenêtres brisées, des instructeurs français évoluent en petits groupes, couverts par des snipers sur les toits. Devant eux, une vingtaine de militaires ukrainiens observent la manoeuvre. Venus en Pologne pour être formés, ils partiront bientôt au combat.
Quelque 200 militaires français, dont 120 formateurs, sont déployés depuis février sur ce camp polonais, dont la localisation doit rester secrète pour des raisons de sécurité.
"Avec nos camarades polonais nous avons la responsabilité de former des bataillons d'infanterie ukrainiens sur une durée de 4 à 5 semaines", soit environ 500 hommes par mois, explique le colonel Benoit.
"Les délais sont très restreints pour tenir compte du besoin de l'armée ukrainienne de disposer rapidement d'unités au combat, mais on arrive à des résultats tout à faut corrects", commente l'officier.
En quelques mois, la France a déjà formé 1 600 soldats ukrainiens en Pologne dans le cadre de la mission d’assistance à l’Ukraine de l’Union européenne (EUMAM), qui s'ajoutent aux 3 600 formés sur son propre territoire depuis 2022.
Toutes les facettes du combat interarmes sont abordées ici: combat d'infanterie, éclairage, assaut, appui artillerie, déminage, combat en milieu urbain... Des domaines dans lesquels l'armée française a accumulé une robuste expérience, de l'Afghanistan au Sahel.
Les Français sont aussi venus avec une trentaine de véhicules de l'avant-blindé (VAB), destinés à être cédés à Kiev. En attendant, ils servent à former les équipages ukrainiens qui les utiliseront demain sur le champ de bataille.
Le secourisme au combat fait également partie des modules, alors que l'Ukraine essuie de lourdes pertes humaines dans les combats contre les Russes. "Il est bien, ton garrot", commente un instructeur français en regardant un Ukrainien prodiguer des soins d'urgence à un camarade faussement blessé, la cuisse maculée de sang. Un interprète traduit la conversation.
Plus loin, de puissantes déflagrations retentissent tandis qu'un petit groupe de militaires part à l'assaut d'un immeuble éventré. Partout, des dizaines de douilles jonchent les pavés.
Patch jaune et bleu sur le bras, les soldats ukrainiens sont concentrés et peu bavards. La troupe compte des soldats dans la force de l'âge, aux gestes sûrs, d'autres sont bien plus jeunes et n'ont pas encore connu le feu.
«Syndromes post-traumatiques»
"Je suis venu ici pour améliorer les performances de mes militaires ayant déjà de l'expérience, et pour former ceux qui n'ont pas connu le combat, ce qui est le cas de la majorité d'entre eux. C'est très important car ils devront aller se battre", témoigne un officier ukrainien en tenue camouflage, les yeux cachés par des lunettes de soleil balistiques, qui consent à répondre sous réserve de strict anonymat.
"Certains ont de l'expérience mais ne s'étendent pas dessus", témoigne le capitaine français Joseph. "De manière générale, on échange énormément sur les techniques. Mais ils nous parlent assez peu de l'avant et de l'après".
Une fois la journée terminée, Français et Ukrainiens regagnent leurs quartiers respectifs et ne se mélangent pas.
"J'ai dit aux gars qui sont partis former les Ukrainiens: 'faites attention, ne créez pas des liens trop personnels'", raconte un officier français. "Certains amis baltes avaient créé des relations extrêmement étroites avec les Ukrainiens" or une grande proportion de ces soldats, déployés par la suite dans la région de Bakhmout, "ne répondaient plus aux whatsapp et aux échanges. Cela a généré des syndromes post-traumatiques" chez les formateurs.
Sur un plan militaire, "cette mission est très intéressante pour nos instructeurs", souligne à l'AFP le chef d'état-major de l'armée de Terre, le général Pierre Schill. "Il est valorisant pour eux de former les Ukrainiens, qui en retour nous apprennent des choses. La confiance s'installant, des échanges peuvent avoir lieu sur l'utilisation des drones ou les tactiques qu’ils ont observées" chez les Russes, explique-t-il.
Cette formation est un des volets du soutien français à Kiev: cession d'équipements, maintenance et pièces détachées, et soutien financier. Au total, l'aide française s'élève à 1,46 milliards d'euros, plaçant Paris au 11e rang des nations soutenant l'Ukraine, selon l'Institut d'économie mondiale de Kiel (IfW).
"On va continuer à vous aider. Nous allons aller au sommet de l'OTAN à Vilnius (mardi et mercredi, ndr) et nous assurer de la solidarité des alliés sur la durée", a promis en Pologne le ministre français des armées Sébastien Lecornu devant les troupes ukrainiennes, qui se battent "aussi pour nous, pour le respect du droit international et nos valeurs".