STRASBOURG: La Collectivité européenne d'Alsace (CEA) a clôturé l'exercice 2022 avec un excédent budgétaire de 261,9 millions d'euros, qui suscite des critiques mais témoigne surtout de la prudence des départements face au manque de maîtrise de leurs ressources financières.
Lundi en séance plénière, la CEA, qui a fusionné les Conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin en 2021, s'apprête à modifier son budget 2023 pour absorber cet excédent, qui représente l'équivalent du budget annuel du département des Hautes-Alpes.
Cette manne inédite, particulièrement en période d'inflation et d'explosion des coûts énergétiques, va lui permettre de réduire son endettement pour la troisième année consécutive et de ne pas avoir recours au crédit en 2023.
La somme représente plus de 12% des recettes enregistrées par la CEA en 2022 (1,97 milliard d'euros). Une part conséquente, d'autant que les collectivités ont l'obligation de présenter en début d'année des budgets à l'équilibre, avec des prévisions de dépenses équivalentes aux recettes.
Cet argent disponible irrite l'opposition, qui estime que le département, en charge des politiques sociales (exclusion, pauvreté, personnes âgées, enfance, handicap), aurait dû l'utiliser pour renforcer l'accompagnement des plus fragiles.
"On a 15 000 personnes sans ressources en Alsace, pour lesquelles le département ne déploie pas d'action particulière, notamment contre le non-recours au RSA", déplore Florian Kobryn, président du groupe Alsace écologiste, citoyenne et solidaire au Conseil départemental.
"Sur la protection de l'enfance, les solidarités, énormément de travail pourrait être plus approfondi", assure-t-il, évoquant environ 360 enfants ayant fait l'objet d'une décision judiciaire de placement, mais ne disposant pas d'une structure d'accueil faute de place.
«Plutôt fourmi que cigale»
Face à cette manne et considérant l'inflation, les syndicats réclament eux des hausses de salaires pour les 6 000 agents de la CEA.
"On avait demandé une compensation pour les oubliés du Ségur, par exemple les secrétaires médico-sociales, ça a été refusé", regrette Nathalie Reynard, déléguée CFDT. "Il y a quand même une prime exceptionnelle de 200 euros pour tous les agents", insuffisant selon elle.
"Plutôt fourmi que cigale", Frédéric Bierry, président (LR) du Conseil départemental, insiste sur l'importance d'être "prudent" alors qu'il anticipe une hausse prochaine des dépenses sociales et une baisse des recettes.
"On a de plus en plus de personnes en situation de vieillissement, en protection de l'enfance ou de mineurs non accompagnés, et on sait que ça ne va pas s'arrêter", explique-t-il.
Parallèlement, avec le ralentissement du marché immobilier, le département s'attend à "une baisse de 20 à 30% des droits de mutations", ces taxes payées chez le notaire lors d'une transaction, ressource importante pour la collectivité.
"Du coup, nos marges de manoeuvre vont diminuer", poursuit-il. Dans ce contexte, "notre excédent, c'est une réserve, c'est la garantie de mener à bien les projets, les investissements prévus sur le mandat".
«Absence de maîtrise»
Pour Robert Hertzog, président honoraire de la Société Française de Finances Publiques, cette situation révèle surtout les "défauts du système" de financement des départements.
Depuis les réformes ayant supprimé les impôts locaux dont les départements avaient la maîtrise (taxe professionnelle, taxe d'habitation...), leurs ressources sont principalement constituées de dotations attribuées par l'Etat, sur lesquelles ils n'ont aucun contrôle.
Or, "les départements assurent des dépenses sociales qu'ils maîtrisent peu : elles dépendent par exemple du nombre de personnes qui réclament le RSA, selon la conjoncture", explique Robert Hertzog. "Ils ont donc besoin de pouvoir ajuster leurs ressources en fonction des circonstances, mais ils n'ont pas cette maîtrise. Alors ils constituent des matelas de réserve, au cas où".
Si peu de départements choisissent d'avoir un matelas aussi épais que la CEA, "la plupart agissent de la même manière et ont des réserves de trésorerie importantes, parce qu'ils n'ont pas de visibilité sur l'avenir". A l'échelle nationale, entre 8 et 10 milliards de réserves attendent ainsi d'être utilisées.
Dans un rapport de novembre 2022, la Cour des comptes évoquait le "sentiment de perte de marge de manœuvre par les élus locaux en raison de la part croissante de la fiscalité nationale (les dotations de l'Etat, ndlr) au sein des ressources propres".
Réclamant un "véritable dialogue qui mette en rapport les dépenses obligatoires avec les recettes", l'Assemblée des départements de France va boycotter les Assises des finances publiques qui s'ouvrent lundi à Bercy.