La semaine dernière, la plus longue occupation militaire de l’histoire moderne a entamé sa 57e année. Depuis quelque vingt mille cinq cents jours, Israël occupe les hauteurs du Golan, la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est et la bande de Gaza. Les habitants de ces territoires, censés bénéficier de la protection du droit international, ont été soumis tous les jours à la loi martiale. Pourtant, depuis un certain temps, le terme d’«occupation» n’est même pas assez fort pour décrire le régime qui régit leur vie au quotidien.
Un nouveau rapport publié par dix-sept groupes israéliens de défense des droits de l’homme conteste cela. Il met en garde contre une «annexion accélérée» du reste de la Cisjordanie avec un système juridique à deux niveaux. Tous ces groupes considèrent qu’il s’agit d’une situation d’apartheid. Cela devrait servir de choc pour le système international. Mais est-ce le cas?
La sophistication de cette annexion et de ce régime d’apartheid est claire. Ce régime a été initialement testé pendant dix-huit ans sur des Palestiniens à l’intérieur d’Israël. Il a été affiné et préparé en vue d’une utilisation ultérieure. Israël s’est engagé dans un grand projet de réingénierie démographique du territoire occupé.
Israël a réussi à installer plus de sept cent cinquante mille civils israéliens dans le territoire occupé à l’intérieur de plus de deux cent cinquante colonies. Le pays a réussi à le faire avec une présence militaire relativement faible. Lorsque vous conduisez en Cisjordanie, vous croisez relativement peu de véhicules militaires israéliens. C’est une occupation peu coûteuse et sans doute rentable. Comment cela a-t-il été rendu possible?
Premièrement, les gouvernements israéliens de tous bords ont constamment ciblé le contrôle de la terre. C’est un régime colonial. Depuis 1967, à chaque étape, Israël a cherché à coloniser la terre et à déplacer la population palestinienne indigène vers des centres urbains de plus en plus surpeuplés, tout en les remplaçant par des colonies en expansion constante.
Ce processus de transfert de terres a permis à Israël de confisquer plus de 1 000 kilomètres carrés de terres palestiniennes qui, selon le nouveau rapport, ont été reclassées comme «terres d’État» israéliennes. Plus de 99% des terres occupées de la Cisjordanie sont utilisées par Israël.
Les transferts de terres et de population se poursuivent; cependant, sous l’actuelle coalition d’extrême droite, ils sont excessivement importants. Le mois dernier, le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, a fièrement annoncé son intention de financer le transfert de cinq cent mille colons supplémentaires dans les territoires occupés. Le transfert ne se fera pas d’un coup, mais cela démontre l’ampleur des ambitions expansionnistes. Y a-t-il eu un tollé en Israël? Non. Ce n’est même plus une question controversée. Mais le projet est de faire des Palestiniens une minorité, même en Cisjordanie.
Bezalel Smotrich et ses alliés envisagent de mettre en place d’importants plans de colonies. Les États-Unis et certains de leurs alliés tentent de les contrecarrer, ce qui a abouti à une emprise sur le mégaprojet E1. Cependant, le lobby des colons sait que, s’il fait pression pour exécuter des dizaines de grandes initiatives en même temps, même les États-Unis ne pourront pas tous les contrecarrer. Les projets d’implantation comme celui de la zone E1 ne sont jamais annulés – ils sont simplement retardés.
Le régime des permis est extraordinaire. C’est un élément clé de la partie invisible de l’occupation et de l’annexion.
Chris Doyle
Deuxièmement, la fragmentation démographique et géographique des Palestiniens donne le contrôle à Israël. Gaza est coupée de la Cisjordanie. Jérusalem est séparée du reste de la Cisjordanie. Alors que vous pouvez vous rendre de n’importe quelle partie de la zone C à une autre, les Palestiniens de Cisjordanie sont obligés de survivre dans plus de 227 parcelles de terrain déconnectées. Chacune peut être isolée des autres grâce à un réseau complexe, mais efficace, de barrières, d’obstacles et de points de contrôle.
Les manifestations qui ont eu lieu à Naplouse ou à Jénine signifient que les villes sont simplement fermées, soumises à un blocus, tout comme Gaza l’a été. Voyager d’une partie de la Cisjordanie à une autre est désormais un processus ardu pour les Palestiniens, mais pas pour les colons. Même si l’on est à Ramallah, se rendre à Bethléem – être obligé de faire le tour de Jérusalem – est un processus long et lourd. Beaucoup de Palestiniens ne prennent même plus la peine de s’y rendre.
Troisièmement, l’occupation israélienne exerce un contrôle étroit par des moyens bureaucratiques et administratifs. Le régime des permis est extraordinaire. C’est un élément clé de la partie invisible de l’occupation et de l’annexion. Les colons israéliens ont tous les droits, tandis que les Palestiniens dépendent de la générosité de l’occupant pour obtenir une multitude de permis différents afin de voyager, travailler, cultiver leurs terres, creuser un puits et recevoir des soins médicaux, entre autres éléments de la vie quotidienne.
J’ai entendu parler d’un ancien soldat israélien dont le rôle, en tant que jeune homme, était de délivrer ou non de tels permis. Un agriculteur peut en demander un pour cultiver sa terre dans la zone charnière située entre le mur de séparation et la Ligne verte. C’est l’ordinateur qui détermine s’il répond aux critères. Il teste la résilience palestinienne. L’agriculteur continuera-t-il d’essayer d’obtenir le permis ou abandonnera-t-il la procédure, au risque de perdre ses terres lorsqu’elles sont laissées en friche?
Quatrièmement, l’occupation israélienne utilise la force. La violence des colons est un instrument de la politique de l’État. Ce dernier permet aux colons d’être armés. Non seulement l’armée n’empêche pas les colons de harceler, de rouer de coups et même de tuer des Palestiniens, mais de plus en plus de preuves montrent que l’armée permet cela.
Enfin, Israël abuse de la loi. Le pays rejette l’application du droit international, bien entendu. Mais il a également introduit, en 1967, la loi militaire pour les Palestiniens, tout en permettant aux colons israéliens d’exister sous le droit civil israélien. L’utilisation de la loi martiale et des tribunaux militaires est une méthode privilégiée pour intimider cette population captive. Les enfants, en particulier, sont pris pour cible. Le processus d’arrestation, d’interrogatoire et de détention les brise et leur apprend que la résistance à l’occupation est aussi coûteuse que futile.
Tout cela fait partie de l’annexion – l’application de la loi israélienne sur les territoires occupés de manière à discriminer la population non juive à tous les niveaux. N’oubliez jamais qu’Israël a déjà annexé Jérusalem-Est et les hauteurs du Golan. Netanyahou a fait pression pour une annexion manifeste par la grande porte depuis 2017 et, désormais, il le fait également par des voies détournées. Dans son accord de coalition, c’est explicite: «Le Premier ministre œuvrera pour la formulation et la promotion d’une politique d’application de la souveraineté» à la Cisjordanie.
Pourtant, tout cela n’est que fiction. L’annexion et l’application de la souveraineté ont déjà eu lieu. Israël contrôle et exploite la terre, les frontières, les ressources et le peuple. Il est temps que le monde dénonce ses actes.
Chris Doyle est directeur du Council for Arab-British Understanding (Caabu), situé à Londres. Il a travaillé auprès de ce conseil depuis 1993 après avoir obtenu un diplôme spécialisé en études arabes et islamiques, assorti d’une distinction honorifique, à l’université d’Exeter. Il a organisé et accompagné les visites de nombreuses délégations parlementaires britanniques dans les pays arabes.
Twitter: @Doylech
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com