PARIS : Un chauffeur aspergé de gaz lacrymogène, 600.000 euros de cigarettes dérobées: l'attaque qu'a subie en février le transporteur Geodis en Savoie est presque monnaie courante dans le secteur de la logistique où les responsables de la sécurité rivalisent d'ingéniosité avec les délinquants pour se prémunir des vols.
«Notre métier, c'est d'insécuriser le délinquant», assène Jean-Jacques Richard, directeur de la sûreté de Geodis, l'un des leaders mondiaux du transport et de la logistique. «Nous devons toujours avoir un ou deux coups d'avance sur les délinquants face auxquels il faut une réponse adaptée, calibrée et anticipée», ajoute-t-il.
A la suite du braquage survenu à Méry, près de Chambéry en Savoie, «des mesures correctives ont été prises», dit-il, et les auteurs interpellés en mai par les gendarmes. Mais la même consigne «zéro risque» demeure pour les transporteurs: «en cas de braquage, on obtempère».
L'Office central de lutte contre la délinquance itinérante (OCLDI) a recensé en 2021 1.800 vols de fret pour un préjudice estimé entre 40 et 60 millions d'euros, contre 2.500 vols deux ans plus tôt, un recul qui s'explique par la pandémie du Covid. Jean-Jacques Richard s'attend cependant à un rebond, du fait de «l'impact économique de la guerre en Ukraine qui va accélérer la délinquance».
La crise économique qui accompagne le conflit a d'ailleurs vu les voleurs changer de cibles: «on constate de plus en plus de vols pour des produits alimentaires», constate Johan Barbier, co-président de la commission sûreté chez l'association interprofessionnelle Union TLF. Même si «les produits-phares» restent, selon lui, «la high tech, la téléphonie, la mode et le luxe» ainsi que les produits semi-conducteurs, «car la demande est internationale, qu'il y a une rupture de stock et que ça coûte cher».
Son entreprise est confrontée à «plusieurs vols de marchandises dans des camions par semaine, sur toute l'Europe», les voleurs attendant que les chauffeurs s'arrêtent sur une aire de repos pour agir.
Du simple vol opportuniste au braquage soigneusement organisé par des assaillants portant de faux brassard de police et usant de gyrophares, les modes opératoires diffèrent et les logisticiens doivent renforcer constamment les mesures de protection. Les simples pinces coupantes pour ouvrir les cadenas ont fait place aux lances thermiques pour forcer les portes blindées.
- Conteneurs avec «boîtiers intelligents» -
Du côté des entreprises, les solutions technologiques telles que les GPS, la vidéo et la télésurveillance, les alarmes, les contrôles d'accès biométriques permettent d'augmenter la sécurisation des sites.
«Mais c'est un investissement important et les clients ne sont pas toujours prêts à payer plus cher», prévient Cédric Rosement, PDG de Traxens, une société qui équipe de «boîtiers intelligents» des conteneurs maritimes afin de les géolocaliser mais aussi de «contrôler l'ouverture des portes».
La technologie permet aussi d'augmenter le niveau de protection des entrepôts et un déclenchement des dispositifs d'alerte plus rapide.
Les malfaiteurs savent que les forces de l'ordre ne peuvent intervenir immédiatement: «en dix minutes, on peut se faire voler pour un million d'euros dans le domaine de la téléphonie par exemple», détaille Johan Barbier. D'où l'intérêt de détecter leur présence le plus tôt possible et le plus en amont de l'entrepôt.
Il est par ailleurs «indispensable de conserver des agents de sécurité car les voleurs savent qu'il faudra les neutraliser», argumente-t-il, et «seuls les réseaux criminels très organisés sont prêts à basculer dans la violence».
De plus en plus, les vols se déportent sur le transport routier, beaucoup plus vulnérable que les sites logistiques.
Certaines sociétés de transport et de logistique vont jusqu'à conclure des accords de partenariat avec les forces de l'ordre, pour prévenir la malveillance.
Pour certaines marchandises «très sensibles» comme certains produits pharmaceutiques par exemple, «on alerte les forces de l'ordre en amont des opérations de transport afin que des dispositifs de prévention adéquat puissent être mis en œuvre lors de l'acheminement de la marchandise», glisse Johan Barbier chez TLF.