KIEV: La Russie et l'Ukraine ont prolongé mercredi leur accord céréalier vital pour l'alimentation mondiale alors que la guerre continue à faire rage, Washington confirmant qu'une batterie de défense anti-aérienne ultra-sophistiquée Patriot a été endommagée.
Après une médiation de la Turquie et de l'ONU, l'accord sur l'exportation via la mer Noire de céréales ukrainiennes, conclu en juillet 2022 à Istanbul et qui arrivait à expiration jeudi soir, a été prolongé "de deux mois", a annoncé le président turc Recep Tayyip Erdogan.
Cet accord a permis d'exporter ces dix derniers mois plus de 30 millions de tonnes de céréales ukrainiennes, et de soulager la crise alimentaire mondiale provoquée par la guerre.
"Cette prolongation est une bonne nouvelle pour le monde", a réagi le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres.
Sur le terrain, les Etats-Unis ont confirmé qu'un système Patriot avait été endommagé par un projectile non-identifié, mais restait opérationnel.
Mardi, l'armée russe avait assuré avoir détruit une batterie Patriot avec une "frappe de haute précision" effectuée "par un missile hypersonique 'Kinjal'".
Washington avait annoncé fin 2022 la livraison de missiles Patriot à Kiev, qui les réclamait depuis longtemps.
Les Patriot sont capables d'abattre des missiles de croisière, des missiles balistiques de courte portée et des avions, à une altitude nettement supérieure à celle des systèmes de défense qui avaient été fournis jusque-là. Au moins deux de ces systèmes ont été déployés en Ukraine.
Diplomatie chinoise
Sur le front diplomatique, l'émissaire chinois Li Hui a rencontré le chef de la diplomatie ukrainienne Dmytro Kouleba avant un "possible" entretien avec le président Volodymyr Zelensky, a indiqué un haut responsable ukrainien sous couvert d'anonymat.
Cet échange serait une première entre M. Zelensky, qui encourage Pékin à faire pression sur Vladimir Poutine, et un haut responsable chinois.
Lors de sa rencontre avec Li Hui, M. Kouleba a "expliqué en détail au représentant spécial chinois les principes du rétablissement d'une paix durable et juste, fondée sur le respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de l'Ukraine", a indiqué son ministère.
"Il a souligné que l'Ukraine n'acceptait aucune proposition qui impliquerait la perte de ses territoires ou le gel du conflit", a-t-il ajouté, alors que Kiev craint d'être poussé, à terme, à accepter un compromis avec Moscou.
Le voyage de Li Hui doit également le mener en Pologne, en France, en Allemagne et en Russie.
La Chine, proche partenaire de Moscou, n'a jamais condamné publiquement l'invasion russe. Et lors d'une visite à Moscou en mars, le président Xi Jinping a apporté un soutien symbolique marqué à son homologue russe Vladimir Poutine.
Les cours des céréales se replient
Après une longue incertitude, l'annonce mercredi par le président turc d'une prolongation de "deux mois" de l'accord sur le corridor céréalier maritime ukrainien a immédiatement fait chuter les cours du blé et du maïs sur les marchés mondiaux.
Quelques minutes après cette annonce, les cours du blé refluaient sur le marché européen, passant sous les 226 euros la tonne pour une livraison en septembre, en baisse de plus de 8 euros par rapport à la veille. Le maïs marquait un recul similaire, s'échangeant autour de 220 euros la tonne pour une livraison en juin.
Moscou avait réitéré ses exigences, notamment la reconnexion de la banque russe spécialisée dans l'agriculture Rosselkhozbank au système bancaire international Swift et la levée d'entraves à l'assurance de ses navires et à leur accès aux ports étrangers.
"On ne sait pas encore ce que contient exactement cet accord, mais l'information est intégrée par les marchés" qui ont accentué la baisse des cours, a commenté Damien Vercambre, spécialiste des céréales au cabinet Inter-Courtage.
"Pression accrue"
Comme en mars, la prolongation est de 60 jours, au lieu des 120 initialement prévus par l'"initiative de la mer Noire", un ensemble de deux accords parrainés par les Nations unies et la Turquie, conclus séparément avec Kiev et Moscou en juillet 2022.
Lors du précédent renouvellement, Moscou avait expliqué qu'elle conditionnerait tout nouveau renouvellement à des améliorations concernant ses propres exportations de céréales et d'engrais. Celles-ci sont indirectement affectées par les sanctions qui frappent ses banques et la frilosité des assureurs et des transporteurs.
Pour Sébastien Poncelet, analyste au cabinet Agritel, la tendance baissière sur les marchés s'explique par "l'importance des réserves de céréales dans le monde".
La situation aujourd'hui, explique-t-il, est totalement différente de celle d'il y a un an, quand aucun navire ne circulait en mer Noire et que le monde cherchait désespérément une solution pour exporter les millions de tonnes de grains stockés dans les silos ukrainiens.
"La Russie a près de 10 millions de tonnes de stock de blé de plus que l'an dernier, un surplus presque équivalent aux exportations prévues pour l'Ukraine l'an prochain (...) En maïs, on attend une récolte record au Brésil", a-t-il relevé.
Par ailleurs, des corridors de solidarité européens "se sont développés par le rail et via les ports européens du Danube ou en Baltique".
A très court terme, une interruption du corridor maritime de la mer Noire n'aurait de toute façon pas été "dramatique parce qu'il ne reste pas grand chose à exporter", selon Damien Vercambre, mais ce serait "critique en fin d'été" si l'Ukraine ne pouvait pas exporter sa nouvelle récolte. Or la nouvelle échéance de l'accord est fixée à la mi-juillet.
Bataille pour Bakhmout
Pékin a proposé en février un plan en 12 points pour mettre fin à la guerre, vu avec scepticisme par les Occidentaux. Selon Pékin, Li Hui, représentant spécial pour les affaires eurasiatiques et ancien ambassadeur chinois à Moscou, est censé discuter du "règlement politique" du conflit lors de sa tournée.
Le chef de la diplomatie ukrainienne a salué le rôle "important" de la Chine dans les efforts de paix, alors que Kiev promeut sa propre formule de règlement du conflit impliquant un retour de tous les territoires occupés par la Russie, dont la Crimée annexée en 2014.
La visite à Kiev de M. Li intervient juste après la tournée européenne de M. Zelensky, lors de laquelle il a reçu la promesse de nouvelles livraisons d'armes nécessaires pour lancer une vaste contre-offensive.
Il a été entendu sur plusieurs points – missiles anti-aériens, drones d'attaque, blindés... – et a progressé vers la livraison d'avions de combat occidentaux, que les Européens sont réticents à fournir.
Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a dit mercredi "constater que le flux d'armes et de munitions vers l'Ukraine augmente et que le niveau d'armes tactiques et techniques fournies augmente également".
Sur le champ de bataille, l'Ukraine a affirmé continuer de progresser face aux Russes près de Bakhmout en avançant de 500 mètres dans certaines zones au cours de la journée. Mardi, elle avait revendiqué avoir repris 20 kilomètres carrés près de cette ville dévastée de l'est du pays, épicentre des combats.
Si les Russes sont en difficulté sur les flancs de Bakhmout, ils continuent leur lente progression dans la ville-même, qu'ils contrôlent à plus de 90%.
Mais cette offensive ukrainienne locale ne semble pas être la grande attaque promise par Kiev depuis des mois, Volodymyr Zelensky estimant encore récemment que son armée avait "besoin de plus de temps".