PARIS: L'un des enjeux principaux du scrutin est la participation, alors que moins d'un électeur sur deux s'était déplacé le 15 mars. Le suspense est important dans quelques-unes des plus grandes villes -Lyon, Marseille, Toulouse, Montpellier, Strasbourg, ... -, tandis qu'au Havre, le Premier ministre Edouard Philippe joue en partie son avenir à Matignon. Ces municipales se tiennent enfin à la veille d'une séquence cruciale pour le président Emmanuel Macron, attendu en fin de matinée dans un bureau de vote du Touquet. Le chef de l'Etat pourrait, dans les jours qui viennent, procéder à un remaniement et préciser son intention affichée de "se réinventer" pour les deux dernières années de son mandat.
Plus de 157.000 candidats et 16,5 millions d'électeurs sont concernés par ce scrutin hors normes, avec port du masque obligatoire dans les bureaux de vote, gel hydroalcoolique et priorité aux personnes vulnérables pour voter. Quelque 15% des communes sont concernées, ainsi que les arrondissements et secteurs de Paris, Lyon, Marseille, où les conseils n'ont pas été élus au complet le 15 mars. Le second tour concerne principalement les villes, puisque les communes rurales ont massivement conclu l'élection dès le premier tour. Outre les traditionnels duels, les candidats s'affronteront dans 786 triangulaires et 155 quadrangulaires. Le vote a en revanche été à nouveau reporté en Guyane, où le virus continue de se propager.
Le premier défi sera celui de la participation, après la dégringolade du premier tour, quand 44,3% seulement des électeurs - contre 63,5% en 2014 - s'étaient déplacés pour voter en raison des risques de contamination. A l'issue d'une campagne souvent cantonnée aux réseaux sociaux et aux médias, une abstention massive se profile à nouveau. Six Français concernés sur dix pourraient ne pas aller voter, selon plusieurs sondages. Une proportion encore plus élevée qu'au premier tour. Mais nombre d'électeurs ne se décident qu'au dernier moment. Principale innovation, d'une portée limitée, pour faciliter le vote : un même mandataire pourra disposer de deux procurations au lieu d'une, pour permettre à un plus grand nombre de personnes, notamment aux plus âgées, de voter sans se déplacer.
Finis les maires inamovibles qui choisissaient leur successeur ! Les résultats s'annoncent cette fois serrés dans une dizaine des grandes villes de France, principalement sous la poussées des écologistes. A Paris, Anne Hidalgo (PS), qui a contenu au premier tour ses partenaires d'EELV en endossant elle-même un programme résolument écolo, semble en position de garder la ville à gauche, avec autour de 44% d'intentions de vote, loin devant ses concurrentes LR Rachida Dati et LREM Agnès Buzyn. Pour La République en Marche, le jour du vote est celui de la fin du calvaire : peu de ses candidats sont bien placés - à l'exception de Strasbourg - et la campagne au rabais ne leur a guère permis de se faire connaître. Dimanche soir, le résultat au Havre, où Edouard Philippe joue son avenir à Matignon, sera très attendu. Le Premier ministre, qui connaît un regain de popularité, y est crédité de 53% d'intentions de vote (Ifop). Mais l'importance de l'enjeu peut mobiliser les abstentionnistes du premier tour.
Droite et gauche pour confirmer, les Verts pour percer
Très affaiblis au plan national, le Parti socialiste et Les Républicains se sont refaits une santé localement. Le PS est en capacité de conserver ses bastions - Paris, Nantes, Rennes, Dijon - et devrait retrouver le niveau qui était le sien après la perte de très nombreuses villes en 2014. Les Républicains ont quant à eux confirmé leur implantation en remportant dès le premier tour bon nombre des villes de plus de 9.000 habitants qu'ils contrôlaient. Mais une défaite à Marseille, que la droite détient depuis 25 ans, ou à Toulouse, la quatrième ville de France, aurait une forte résonance politique.
Portés par la vague écologiste, les candidats EELV visent plusieurs grandes villes, dont Grenoble, Lyon, Strasbourg, Besançon, pour confirmer leur implantation, et ils dénoncent des "fronts antiécolos" pour leur faire barrage. Pour les Verts, qui ont longtemps servi de force d'appoint, il s'agit aussi de s'affirmer comme les premiers à gauche avant les prochaines échéances électorales. Principal adversaire d'Emmanuel Macron au plan national, le Rassemblement national reporte ses espoirs sur Perpignan après un premier tour mitigé. En cas de victoire, ce serait la première ville de plus de 100.000 habitants contrôlée par le parti depuis 1995.
"Troisième tour"
Les conseillers municipaux, élus pour six ans, se réuniront ensuite du vendredi 3 au dimanche 5 juillet pour élire les maires et leurs adjoints. Et dans certaines villes, il faudra effectivement attendre ce "troisième tour" pour connaître le nom du maire. Les électeurs éliront également dimanche, et sur un même bulletin, les conseils communautaires de quelque 1.100 communautés de communes, métropoles ou agglomérations, où se concentre désormais le pouvoir local. Des intercommunalités dont le rôle sera essentiel pour la relance économique à l'issue de la crise sanitaire.
La France, durement frappée par le nouveau coronavirus, a enregistré plus de 29.750 décès depuis le début de l'épidémie de Covid-19. L' abstention massive, mi-mars, n'avait pas vraiment favorisé le parti présidentiel, la République en Marche (LREM). Distancé à Paris et Marseille ou Lille, forcé à des alliances avec la droite à Lyon ou Bordeaux, il n'est en position de force dans aucune ville majeure pour le second tour. "Le problème est que LREM est un parti neuf qui n'a pas d'enracinement local et qui a du mal à s'imposer comme une force. En plus, il a brouillé son image en contractant des alliances à gauche mais surtout à droite après le premier tour", pointe Jean Garrigues, historien et enseignant à l'université d'Orléans (centre). "Peut-être la défiance va s'exprimer encore plus par l'abstention que par le vote anti-Macron", ajoute t-il. L' objectif de LREM - 10.000 places de conseillers municipaux sur les 535.000 que compte la France - est un révélateur de ses faibles ambitions. Même au Havre, ville portuaire de l'ouest du pays, le Premier ministre Edouard Philippe qui avait pourtant laissé de côté l'étiquette LREM n'est pas certain de l'emporter.
France de l'après-coronavirus
Sa défaite contraindrait probablement Emmanuel Macron à un remaniement ministériel. Une situation paradoxale à l'heure où le président a cristallisé les critiques sur la gestion de la crise du coronavirus et où son Premier ministre le dépasse largement dans les études d'opinion. Le président français, qui consulte à tout va mais ne laisse rien filtrer de ses intentions, détient seul les clés d'un éventuel remaniement. Reste à savoir également à quel point ce scrutin peut avoir un impact sur la deuxième partie du quinquennat d'Emmanuel Macron qui a laissé entendre que la crise du coronavirus allait changer profondément les choses et dit qu'il lui fallait "se réinventer".
Ces dernières semaines, plusieurs défections de députés ont fait perdre à LREM la majorité absolue à l'Assemblée nationale. Et une débâcle aujourd'hui pourrait fragiliser un peu plus cette majorité affaiblie voire réveiller certaines ambitions en vue de la présidentielle de 2022. "Lorsqu'on a une conception du pouvoir qui est très verticale, et très personnelle finalement, on peut imaginer qu'il n'a pas envie d'avoir un parti qui soit un boulet au pied", explique Chloé Morin, politologue associée à la Fondation Jean-Jaurès. Dans les cortèges du mouvement social des "gilets jaunes" en 2018-2019 ou des manifestations contre la réforme des retraites l'hiver dernier, c'est d'ailleurs cette conception verticale du pouvoir qui était largement critiquée.
Probablement soucieux d'évacuer au plus vite cet encombrant scrutin, Emmanuel Macron a d'ores et déjà prévu de s'exprimer le 29 juin. Il donnera ses premières réponses aux propositions formulées par la Convention citoyenne sur le climat, une assemblée de 150 citoyens tirés au sort pour redonner des couleurs à la démocratie directe dans le pays. Le président français est aussi à l'initiative avec la chancelière allemande Angela Merkel d'un mécanisme inédit de mutualisation de la dette européenne - pour l'instant fixé à 750 milliards d'euros - afin d'aider l'UE à surmonter la crise historique engendrée par la pandémie de coronavirus.