TÉHÉRAN : Des millions d'internautes iraniens sont poussés à utiliser des messageries locales, comme Ita et Rubika, en remplacement des géants WhatsApp et Instagram, victimes des restrictions drastiques imposées sur internet.
Les Iraniens ne font pas exception lorsqu'il s'agit de passer des heures à surfer et s'exprimer sur les plateformes de réseaux sociaux.
Mais ces derniers mois, ils ont dû s'adapter lorsque les autorités ont bloqué l'accès à Instagram et Whatsapp, les plateformes étrangères les plus populaires dans le pays, après le début du mouvement de contestation déclenché par la mort en détention de Mahsa Amini à la mi-septembre.
Des millions de personnes se sont alors tournées vers les réseaux sociaux pour réagir au décès de la jeune fille et l'État a introduit une série de filtrages et de restrictions sans précédent, en dénonçant «des actions menées par des contre-révolutionnaires via les réseaux sociaux».
Le pouvoir a notamment suspendu, pour une durée plus ou moins longue, les accès à des VPN (réseau virtuel privé) utilisés par des dizaines de millions de personnes mais aussi de très nombreuses entreprises.
Parallèlement, il a encouragé les internautes à migrer vers les applications iraniennes, qui bénéficient d'un soutien de l'Etat.
Selon les chiffres publiés fin avril par le ministre des Télécommunications, Issa Zarepour, quelque 89 millions d'internautes utilisent «au moins une fois par mois» l'un des quatre principaux acteurs du secteur (Ita, Rubika, Bale et Soroush).
M. Zarepour, qui n'a de compte sur aucune des plateformes étrangères, a averti que WhatsApp et Instagram ne seraient autorisées à fonctionner de nouveau que si elles disposaient d'un représentant légal dans le pays.
Mais Meta, la maison mère de Facebook, Instagram et WhatsApp, a fait savoir qu'elle n'avait pas l'intention d'établir un bureau en Iran.
- «Si mon VPN le permet» -
Pour attirer les internautes, le gouvernement a commencé à déplacer certains services administratifs en ligne vers les plateformes nationales.
Même s'ils sont préoccupés par les questions de sécurité et de confidentialité, «les utilisateurs ont des besoins» qui les poussent à y avoir recours, explique Amir Rashidi, expert en sécurité numérique basé à New York.
«Si vous étiez un Iranien, que feriez-vous si vous ne pouviez vous inscrire à l'université qu'avec l'une de ces applications?», interroge-t-il.
Keikhosrow Heydari-Nejat, un développeur de 23 ans, indique avoir chargé ces plateformes «pour utiliser les services fournis par l'Etat qui ne marchent que sur elles». Mais «je ne les ai installées que sur le téléphone portable que je n'utilise pas quotidiennement», précise-t-il, en regrettant qu'elles n'aient pas de «politique de confidentialité claire».
Mansour Roghani, 65 ans, employé municipal à la retraite, reconnaît pour sa part ne pas avoir besoin des applications locales. «Les sujets auxquels je m'intéresse et les amis avec lesquels je communique ne sont pas sur des plateformes iraniennes», explique-t-il. Donc «j'utilise plutôt Telegram et WhatsApp et, si mon VPN me le permet, je consulte Instagram».
Afin d'accélérer la transition, le ministère des Télécommunications a interconnecté quatre plateformes nationales, permettant à leurs utilisateurs de communiquer entre eux.
«Le gouvernement tente de connecter ces applications pour avoir le nombre maximum d'utilisateurs», souligne Amir Rashidi, en précisant qu'elles bénéficieront ainsi d'un «soutien financier et technique».
L'objectif global des autorités est de finaliser le réseau national d'internet - le NIN (National Information Network) -, qui est achevé à environ 60%. A terme, il devrait permettre aux plateformes nationales de fonctionner même lorsque les accès au réseau mondial sont inaccessibles, selon M. Zarepour.
Lorsque cette reconfiguration sera achevée, le gouvernement sera ainsi en mesure de «suspendre internet à moindre coût», prévoit Ali Rashidi.
Pour le gouvernement, il s'agit, au-delà des raisons de contrôle internes, de se prémunir contre les cyberattaques provenant de l'étranger, comme l'Iran en a été victime ces dernières décennies.