PARIS: Autoproclamé favori des élections européennes de l'année prochaine dont il entend faire un "référendum anti-Macron", le Rassemblement national de Marine Le Pen voit pourtant ses alliances s'étioler au Parlement de Strasbourg, au risque d'une forme de marginalisation.
Méthode Coué? Vendredi, à la "Conférence d'action politique conservatrice" (CPAC), un grand raout mondial des droites de la droite qui se tenait à Budapest, Jordan Bardella a posé comme "enjeu des prochaines élections européennes de faire émerger une majorité alternative au Parlement européen". Un "objectif atteignable", selon lui.
Côté pile, le Rassemblement national se délecte d'un vent dans le dos: s'il n'existe pas encore de sondages d'intentions de vote, les études d'opinion montrent une forte popularité du parti, perçu comme le principal vainqueur politique de l'opposition à la réforme des retraites.
"L'objectif, c'est d'arriver en tête", résume M. Bardella, qui devrait à nouveau mener la liste, en voulant faire de ce scrutin des "midterms": des élections intermédiaires "avec une dimension nationale très forte" qui doivent servir de marche-pied à une quatrième candidature de Marine Le Pen à l'Elysée en 2027.
La bonne forme des populistes européens - au pouvoir en Italie, Hongrie, Pologne, Slovaquie, Lettonie, ou Finlande; en forte progression en Autriche ou en Espagne - laisse par ailleurs entrevoir un contingent massif d'eurodéputés "nationalistes" dans l'hémicycle de Strasbourg.
Côté face, le RN affronte toutefois depuis plusieurs semaines un vent mauvais. Début avril, les troupes du Parti des Finlandais ont quitté le groupe parlementaire Identité et démocratie (ID), dans lequel siègent les eurodéputés français du RN.
Mauvais présage? Dominé par les lepénistes et les élus italiens de La Ligue, ID semble aujourd'hui pris en tenaille. Côté italien, le parti de Matteo Salvini est en pleine perte de vitesse depuis qu'il s'est fait dépasser par Fratelli d'Italia, la formation post-fasciste de la cheffe du gouvernement Giorgia Meloni avec laquelle il s'est résolu à faire alliance pour diriger le pays.
Or, Fratelli d'Italia snobe autant ID (les mélonistes siègent dans le groupe des Conservateurs, ECR) que le RN et Marine Le Pen. En visite à Rome mi-avril, Jordan Bardella a bien tenté d'arrondir les angles. Las: son escapade s'est résumée à une brève entrevue avec son "partenaire" Salvini, qui a exigé que la rencontre se fasse sans journaliste tant le vice-président du Conseil transalpin n'entend pas froisser sa patronne et alliée Meloni.
Et, au même moment, Marine Le Pen enfonçait le clou en répondant au quotidien italien La Repubblica que "Giorgia Meloni n'était pas sa sœur jumelle".
«Rubicon»
Pire: l'alliance entre le RN et La Ligue pourrait prendre du plomb dans l'aile avec l'offensive des "libéraux" du parti italien, menée par le ministre de l'Economie Giancarlo Giorgetti, qui plaide pour un "recentrage" davantage pro-européen du parti du Nord de la péninsule. Cette évolution stratégique pourrait par ailleurs être facilitée par l'apport des troupes du parti Forza Italia (droite), aussi vacillant que l'état de santé de son chef historique, Silvio Berlusconi.
Dès lors, Bardella et le RN se retrouvent face à une double difficulté: non seulement le dessein d'un grand groupe parlementaire à Strasbourg autour d'eux semble illusoire - les lepénistes plaident désormais pour une simple "intergroupe" -, mais ils doivent affronter un projet de rapprochement d'ECR et du groupe de droite PPE, majoritaire dans l'hémicycle, dans lequel siègent notamment les élus LR français ou les Allemands de la CDU-CSU.
"Si ECR fait une coalition avec ceux qui sont responsables des décisions le plus toxiques de l'Union européenne, alors ils seront passés à l'adversaire, ils auront franchi le Rubicon qui sépare les mondialistes des souverainistes", a tranché devant plusieurs journalistes Marine Le Pen la semaine dernière.
"En tout cas, Orbán, ils ne l'emmèneront pas au PPE", a-t-elle prédit, alors que les ouailles du Premier ministre hongrois avaient quitté le PPE en 2021, sans toutefois rejoindre ni ID, ni ECR, mais en siégeant parmi les non-inscrits.
Sur les rives du Danube, quinze jours après sa déconvenue romaine, Jordan Bardella s'est félicité d'une rencontre avec la présidente de la République de Hongrie, puis d'une autre avec le leader ultra-conservateur. En saluant celui "qui porte la voix d'une nation européenne libre qui défend son identité avec fierté et fidélité", il a surtout voulu afficher son indéfectible proximité.