LA CLUSE-ET-MIJOUX: Une halte surprise pour montrer qu'il peut encore échanger, certes vivement, avec les Français: Emmanuel Macron a défendu jeudi son bilan à Dole, dans le Jura, avant un hommage mémoriel qui lui a permis de vanter les mérites de "l'ordre" au service de la "liberté".
Pour son quatrième déplacement sur le terrain depuis qu'il a promulgué sa très contestée réforme des retraites et décrété "cent jours" pour relancer son second quinquennat, le chef de l'Etat avait prévu un hommage à l'esclave affranchi devenu général, Toussaint Louverture, au château de Joux, dans le Doubs.
Mais alors que des manifestants l'attendaient à proximité de l'ancienne forteresse, il a fait un arrêt surprise au marché de Dole (Jura), à une centaine de kilomètres de là, avant de poursuivre en hélicoptère.
Accueilli à chaque visite de terrain par un concert de casseroles et de sifflets depuis l'adoption de la réforme, Emmanuel Macron a pu montrer cette fois qu'il pouvait aussi aller sans accroc au contact des Français, même si certains échanges ont été vifs et directs.
Pourquoi cet exercice ? "Pour entendre les difficultés (...) Avoir des idées nouvelles, ressentir ce qui est compris, ce qui n'est pas compris", a-t-il expliqué, accompagné de quelques journalistes, devant des passants éberlués.
"Et aussi pouvoir traiter des colères, mais de le faire de manière non-organisée artificiellement", a-t-il ajouté, jugeant "inutiles" les déplacements "où tout est arrangé parce que ça se passe trop bien et ceux où tout est arrangé parce que ça se passe trop mal".
Interpellé sur la hausse des prix, les petites retraites, les déserts médicaux, le chef de l'Etat a longuement discuté avec commerçants, clients et simples badauds.
«Vous nous enfumez»
"Tout est cher. Il y a des gens qui crèvent de faim", lui a lancé une passante. "Voiture de fonction, logement gratos, on n’a pas tous ça nous hein".
Une commerçante s'est plainte d'être "en retraite et de travailler quand même". Pour 1 200 euros, je ne me lève pas à 4h du matin", s'est agacé un passant.
Un autre a accusé les patrons de la grande distribution: "Quand est-ce qu'on va arrêter de permettre à ces gens de s'en foutre plein les poches".
"Ça choque tout le monde. Moi aussi ça me choque", a admis en retour Emmanuel Macron, épinglant des "écarts" tels qu'on "ne peut plus les expliquer aux gens".
Le chef de l'Etat a rappelé les baisses d'impôts, la suppression de la taxe d'habitation, les chèques énergie ou la hausse des petites pensions avec sa réforme très contestée des retraites.
"Maintenant il faut qu'on arrive à recréer une dynamique salariale... c'est pas le gouvernement qui peut le faire", a-t-il plaidé, renvoyant la balle dans le camp du dialogue social.
Un ancien représentant local des gilets jaunes, Fabrice Schlegel, l'a aussi vivement interpellé sur le "déficit colossal", lui reprochant pêle-mêle d'avoir "tué la fonction hospitalière, la médecine de proximité". "Vous nous enfumez depuis cinq ans".
"Vous êtes quand même un drôle (..) Vous me demandez plus de dépenses en fait", a répliqué le président en contestant les chiffres alignés par son interlocuteur.
«Juste se faire entendre»
Dans le même temps, entre 200 et 300 manifestants ont été retenus, au prix de quelques bousculades, par un cordon de gendarmerie à plus d'un kilomètre du château de Joux (Doubs) où il a tenu un discours à l'occasion du 175e anniversaire de l'abolition de l'esclavage en France.
"On n'a jamais vu un président qui se protège de cette manière, et qui nous méprise autant", a grincé Pascal Maillard, 62 ans, retraité d'Enedis.
"Ce dispositif (...) c'est démesuré: on n'est pas des terroristes, on veut juste se faire entendre", a déploré Céline, 51 ans et enseignante en primaire.
Prenant exemple sur Toussaint Louverture, Emmanuel Macron a vanté dans son discours les mérites de "l'ordre" au service de la "liberté" et ceux de la "concorde".
"Révolutionnaire d'exception, Toussaint Louverture considérait lui aussi que seul l'ordre pouvait maintenir la liberté, la prospérité et le bien public", a-t-il lancé depuis la forteresse où l'ancien esclave fut emprisonné les derniers mois de sa vie de 1802 à 1803.
Le 17 avril, lors de son allocution télévisuelle, le chef de l'Etat a érigé "l'ordre républicain" parmi ses trois chantiers prioritaires pour tenter de tourner la page de la réforme des retraites et relancer son quinquennat.