ANKARA: Avant les prochaines élections, la Turquie a annoncé le début de la production de gaz naturel provenant du plus grand gisement de la mer Noire à partir de 20 h 23 le 20 avril, marquant le centenaire de la république de Turquie cette année.
Cette décision devrait permettre de réduire la dépendance énergétique du pays vis-à-vis de l’étranger et de faire baisser les factures des ménages.
Pour un pays qui consomme quelque 53 milliards de m3 de gaz naturel par an, la production de ce nouveau gisement sera moins chère que le gaz importé, comme précédemment annoncé par le ministre de l’Énergie, Fatih Dönmez.
Le champ offshore de Sakarya, à partir duquel la Turquie produira du gaz naturel conjointement avec Turkish Petroleum, Schlumberger NV et Subsea 7 SA, fournira dix millions de m3 par jour dans un premier temps, avec une augmentation prévue à quarante millions de m3 d’ici à 2028, lors de la deuxième phase.
Le gisement contiendrait près de 710 milliards de m3 de réserves récupérables.
On ne sait toutefois pas encore dans quelle mesure la Turquie – qui a des liaisons par gazoduc avec la Bulgarie et la Grèce – pourrait exporter ce gaz non russe vers les marchés européens.
Madalina Sisu Vicari, experte indépendante en géopolitique énergétique, a récemment déclaré à Arab News que le champ gazier de Sakarya «a définitivement une valeur économique importante: c’est le plus grand champ gazier découvert à ce jour en mer Noire et le plus grand de l’Histoire de la Turquie».
«Le projet revêt une importance nationale considérable pour la Turquie, qui dépend presque totalement des importations d’énergie. La dépendance presque totale du pays vis-à-vis des importations de combustibles fossiles a toujours entraîné d’importantes vulnérabilités, tant sur le plan économique que géopolitique.»
En 2022, la facture des importations d’énergie de la Turquie, alimentée par la flambée des prix du pétrole et du gaz, a augmenté de 90% par rapport à l’année précédente, s’élevant à 96,55 milliards de dollars (1 dollar = 0,91 euro).
L’experte estime que la position de la Russie en tant que principal fournisseur de gaz pour la Turquie – bien qu’en baisse, mais totalisant toujours près de 40% de part de marché l’année dernière – pose des défis importants à la politique d’équilibre géopolitique de la Turquie, en particulier dans le contexte de la guerre en Ukraine.
«La production de gaz en provenance de Sakarya pourrait apporter une contribution significative au développement de l’industrie énergétique turque et à la croissance de l’économie, car elle peut fournir entre 25 et 30% de la demande intérieure du pays, ce qui pourrait soutenir la propre sécurité énergétique de la Turquie et son bien-être économique en réduisant la facture des importations d’énergie, le déficit et, finalement, les prix intérieurs de l’énergie», déclare-t-elle.
Selon Mme Vicari, la production nationale de gaz pourrait également donner à la Turquie plus de poids dans ses relations bilatérales avec la Russie, mais il reste à déterminer si la Turquie est disposée à le convertir en gains géopolitiques et géoéconomiques et comment ces derniers se traduiraient en mesures politiques.
«La production du champ de Sakarya pourrait, en théorie, jouer un rôle dans l’objectif de la Turquie de devenir un hub gazier. Néanmoins, ce concept n’est pas encore clarifié: un hub pour différents fournisseurs qui négocient et achètent du gaz ou un projet de gazoduc comme TurkStream qui ne passe que par la Turquie», précise-t-elle.
Toujours selon l’experte, un autre élément du hub gazier n’est toujours pas clair, soit la possibilité que le gaz russe utilise le hub. «Il s’agit d’un élément essentiel, car il pourrait contribuer à la consolidation de la position régionale de Gazprom, dans le contexte des efforts de l’Union européenne (UE) de renoncer à l’énergie russe», ajoute-t-elle.
Pour Pinar Ipek, experte en sécurité énergétique à l’université d’économie et de technologie Tobb à Ankara, la dépendance énergétique de la Turquie vis-à-vis de la Russie reste un défi à la lumière de la géopolitique énergétique régionale.
«La Turquie consomme entre 50 et 58 milliards de m3 en fonction de son taux de croissance économique et de sa demande d’électricité. Les importations de gaz naturel de la Turquie en provenance de Russie en pourcentage des importations totales de gaz naturel ont culminé en 2011 à 58%, alors qu’elles étaient de 54% en moyenne entre 2011 et 2021. En 2021, le pourcentage est passé à 44,9%», explique-t-elle à Arab News.
Elle ajoute que la Turquie a une interdépendance asymétrique avec la Russie dans la géopolitique énergétique régionale, bien qu’elle tente de réduire la part des importations de gaz naturel par gazoduc.
«L’importance de la production de gaz naturel du champ offshore de Sakarya découle de sa contribution à la réduction des risques de coupures de gaz naturel dans les gazoducs existants en provenance de la Russie ou de l’Iran», soutient-elle.
Les fréquentes coupures de gaz de l’Iran dans le passé mettent en lumière l’insécurité énergétique de la Turquie et rappellent la nécessité de garantir des approvisionnements alternatifs.
«En janvier 2022, lorsque l’Iran a interrompu les flux de gaz naturel vers la Turquie pendant dix jours en raison de problèmes techniques, Botas, la société gazière publique turque, a dû ordonner aux centrales électriques alimentées au gaz naturel de réduire leur consommation de gaz, tandis que Teias, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité, a dû imposer soixante-douze heures de coupure d’électricité dans les zones industrielles», poursuit Mme Ipek.
Néanmoins, elle estime que l’approvisionnement annuel en gaz de ce champ n’est pas suffisant pour satisfaire les besoins énergétiques actuels de la Turquie.
«C’est insuffisant pour la reprise économique ou la sécurité énergétique de la Turquie compte tenu de sa demande énergétique actuelle qui nécessite de plus grands volumes d’importations de gaz naturel à moins qu’il n’y ait des substituts, en particulier pour la production d’électricité», souligne-t-elle.
Mais Pinar Ipek suggère également que ce gisement est important en raison des besoins énergétiques européens en gaz naturel non russe à la suite de la guerre entre la Russie et l’Ukraine.
«En conséquence, la Turquie peut faciliter son aspiration de longue date à devenir un hub gazier si elle peut remplir les conditions. L’une des conditions est de satisfaire aux mécanismes du marché pour un lieu de tarification/échange, comme le prix au comptant et l’échange des volumes de gaz naturel alloués dans les gazoducs», explique-t-elle.
«Cependant, la Turquie n’a actuellement aucun droit de réexporter du gaz qui a été transporté via le Tanap (gazoduc transanatolien) ou TurkStream. De plus, les récentes propositions du gouvernement de restructurer Botas et de déléguer au président les droits de gestion des entreprises dégroupées, ainsi que ses relations plus étroites avec la Russie dans le domaine de la coopération énergétique, soulèvent des doutes quant aux mécanismes de marché requis pour un hub gazier», conclut-elle.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com