Paris : Le Conseil constitutionnel a validé vendredi l'essentiel de la réforme des retraites, dont le report de l'âge légal à 64 ans, une victoire juridique mais un désastre pour la nation, déplorait unanimement la presse française samedi matin, avant la promulgation du texte.
Un désastre, lâche Midi Libre. Nul ne pensait le Conseil constitutionnel en capacité de résoudre la crise sociale et politique qui fait rage depuis trois mois. Mais à son corps défendant, la juridiction vient de l'aggraver tacle Olivier Biscaye.
La procédure a beau être légale, carrée, conforme à la Constitution, elle ne passe pas, acquiesce le rédacteur en chef de La Voix du Nord. Il y a une forme de péché originel à prétendre agir au nom des Français en leur imposant de façon expéditive un texte dont ils ne veulent pas, lance Patrick Jankielewicz.
La décision du Conseil constitutionnel, parce qu’elle n’est pas politique, ne règle rien. Les syndicats de salariés n'ont même pas l'ombre d'un texte pour ranger les drapeaux, lit-on dans l’Est Eclair.
En guise de dessin de presse, Libération Champagne ose sur sa dernière page un doigt d'honneur, tandis que les manifestations se poursuivent sur la Une de Libération, barrée du slogan Pas vaincus.
Sur la forme, les +sages+ - ce surnom ne peut être utilisé maintenant que par ironie - ont livré une décision brutale, écrite dans une forme bureaucratique dénuée de tout style ou de toute nuance. Sur le fond, la décision va au-delà du texte gouvernemental tant décrié analyse froidement Dov Alfon.
Sur ce brasier social (...) les +sages+ ont donc +versé un jerrican d'essence+ (...). Et fidèle à ses passions de pyromane, Emmanuel Macron annonçait immédiatement que la loi serait promulguée sous quarante-huit heures poursuit-il dans son édito amer.
- Et maintenant? -
Les mots de la Première ministre, qui a déclaré vendredi qu’il n’y avait ni vainqueur ni vaincu, ont eux aussi couler de l'encre.
Cela peut paraître fair-play dans une coupe de foot de la catégorie poussins. Mais après des mois d'une mobilisation XXXL, à l'instant T où le texte d'une réforme honnie par des millions de Français est certifié conforme au regard de la Constitution, c'est déconcertant, déplore Sophie Leclanché dans La Montagne.
La presse ne croit pas au match nul. Emmanuel Macron a gagné annonce Charente Libre. Une victoire à la Pyrrhus, renchérit La République des Pyrénées.
C’est une victoire juridique pour le gouvernement d'Elisabeth Borne mais un désastre à la fois politique et social pour la nation, tance encore le Républicain Lorrain.
Personne ne sort vainqueur de ce rendez-vous manqué entre le peuple et ceux qui le représentent au plus haut niveau. Sauf peut-être les extrêmes, assure la Voix du Nord.
En Une du Parisien, le chef de l’Etat affiche une mine dubitative : Et maintenant? titre le quotidien.
Les Sages eux-mêmes ont pointé +le caractère inhabituel+ de l'accumulation de procédures visant à restreindre les débats. (…) et si le procédé devenait la nouvelle norme du +cheminement démocratique+ ?, s'inquiète La Montagne.
Même Élisabeth Borne l’a reconnu, renchérit Sud Ouest : +Il est important de dire où l’on veut aller+. A la lueur de cet aveu, faut-il en déduire que ce second quinquennat sera celui de la navigation à vue ?, questionne Jefferson Desport, notant au passage que la droite, qui restait le meilleur allié (du président) jusque-là, est ressortie de ce débat lessivée, éparpillée façon puzzle.
A droite justement, le Figaro se lamente du gâchis collectif.
Les Français voient bien que l’affaissement généralisé vient moins de leur réticence supposée à la +réforme+ que d’une impuissance de plus en plus sidérante de la performance publique. École, santé, sécurité : impôts partout, service nulle part, tonne Vincent Trémolet de Villers.
La défiance est là et ne va pas s’évaporer par enchantement.
Retraites: après la décision des Sages, les syndicats ne rendent pas les armes
Déçue par la décision du Conseil constitutionnel, l’intersyndicale assure vendredi que le combat contre la réforme des retraites n’est «pas fini» et demande au président de la République de ne pas promulguer la loi, appelant à faire du 1er mai un «raz-de-marée populaire et historique».
«Retraites: ce n'est pas fini», ont réagi les huit principaux syndicats français et cinq organisations dans un communiqué.
Alors que le Conseil constitutionnel a censuré «six articles de la loi», le texte est «dorénavant encore plus déséquilibré», déplore-t-elle. Elle demande par conséquent à Emmanuel Macron «de ne pas promulguer la loi, seul moyen de calmer la colère qui s'exprime dans le pays».
«Monsieur le président de la République, ne promulguez pas cette loi ce week-end», a insisté le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger sur TF1 vendredi soir.
L'intersyndicale demande aussi au Parlement de délibérer à nouveau, comme le prévoit l'article 10 de la Constitution, «un choix de sagesse et d'apaisement», et souhaite que le Conseil constitutionnel valide le deuxième projet de Référendum d'initiative partagé (RIP) déposé par la gauche, le premier ayant été invalidé.
Invitées par le président de la République à le rencontrer à l'Elysée mardi, les organisations syndicales affirment qu'elles «n'entreront (...) pas dans un agenda politique qui nécessiterait un rendez-vous en urgence et dont l'ordre du jour ne serait pas le retrait de la réforme», et font savoir qu'elles «décident d'ici le 1er mai de ne pas accepter de réunions avec l'exécutif».
Comme elle l'avait déjà évoqué jeudi, lors de la douzième journée de mobilisation contre la réforme, l'intersyndicale appelle les salariés à faire du lundi 1er mai une «journée de mobilisation exceptionnelle et populaire contre la réforme des retraites et pour la justice sociale».
«L'ensemble des organisations syndicales donnent rendez-vous le 1er mai à l'ensemble des Français pour un raz-de-marée populaire et historique», a déclaré la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, au milieu des manifestants rassemblés place de l'Hôtel-de-Ville à Paris.
Son homologue de Force ouvrière, Frédéric Souillot, a estimé que la décision du Conseil constitutionnel ne «bouscul(ait) pas le calendrier de l'intersyndicale» qui «va continuer à demander le retrait par la mobilisation et par une intersyndicale unie».
En début de soirée, plus de 4.000 personnes se sont réunies sur le parvis de l'Hôtel-de-Ville situé non loin du Conseil constitutionnel, dont certaines déterminées à rejoindre la rue de Montpensier malgré un dispositif policier dissuasif. Elles ont accueilli par des huées la décision du Conseil constitutionnel.
- «Carcan institutionnel» -
L'ancienne figure des Gilets jaunes Jérôme Rodrigues a appelé à «adopter le schéma Gilets jaunes» et à «sortir du carcan institutionnel».
Des rassemblements ont eu lieu dans de nombreuses autres villes en France, avec des cortèges sauvages parfois émaillés d'incidents.
Plus tôt dans la semaine, les organisations syndicales avaient mis en garde contre les risques de radicalisation du mouvement social, dans l'hypothèse où le report de l'âge serait validé, mais pas le RIP, possible exutoire démocratique.
Mais la mobilisation pourrait désormais prendre d'autres formes. «De grosses journées d'action» comme les douze qui ont scandé le mouvement social «ça va devenir compliqué», concédait le secrétaire général de la FSU, Benoît Teste. «On va avoir une mobilisation de moindre intensité», avec des «mobilisations plus espacées», prédisait-il. Vendredi soir, Sophie Binet a évoqué l'organisation de «beaucoup d'actions» pour jeudi.
La nouvelle période qui s'ouvre risque de mettre à l'épreuve la solidité de l'intersyndicale, avec des syndicats réformistes peut-être plus enclins à sortir du mouvement social et à reprendre le dialogue avec le gouvernement, fût-ce après une période de «décence».
«J'ai toujours dit qu'on ne voudra pas finir à 200.000 personnes dans les rues alors qu'on a fait une mobilisation historique mais aussi ultra digne», avait affirmé jeudi Laurent Berger, au départ de la manifestation parisienne.
L'occasion pour lui de rendre de nouveau hommage à l'intersyndicale, à «cette capacité malgré nos divergences à faire un mouvement social qui va marquer l'histoire sociale de ce pays».
L'intersyndicale a prévu de se réunir lundi soir au siège de FO.