MONTRÉAL : «Beaucoup de gens disent +assez+»: confrontée à un torrent d'insultes sur les réseaux sociaux, la gouverneure générale du Canada Mary Simon, représentante du roi Charles III dans le pays, a décidé de s'engager pour dénoncer racisme et misogynie en ligne.
«Il est important de dénoncer ces menaces pour pouvoir y remédier», a-t-elle expliqué dans un entretien par téléphone à l'AFP fin mars, estimant que les attaques à son encontre avaient franchi une étape supplémentaire ces derniers temps.
L'ancienne diplomate, ardente avocate des droits des Inuits et première autochtone à occuper ce poste de représentante de Charles III - chef d'Etat en titre du Canada - juge qu'il est temps «d'entamer le dialogue dans le pays».
Les fonctions de la gouverneure générale sont largement protocolaires, mais elle possède aussi un rôle symbolique important en tant que commandante en chef des forces armées et c'est elle qui promulgue officiellement les lois et convoque ou dissout le Parlement.
Elle a choisi, il y a quelques semaines, de publier des extraits des messages pour témoigner de la violence des propos qui lui sont adressés sur les réseaux sociaux: «regardez ce visage, une vraie gloutonne!», «morceau de viande sans intérêt», «tellement loin de sa réserve, et elle en profite!»...
- «Effets dévastateurs» -
«Chaque jour, nous sommes bombardés par ces mots blessants - des attaques contre mon identité en tant que femme, en tant que femme d'un certain âge et en tant qu'Inuk», explique-t-elle.
«Malheureusement, je sais très bien que je ne suis pas la seule», confie Mary Simon, 75 ans.
Alors aujourd'hui, elle espère «faire bouger les choses».
«Le fait que j'ouvre ce dossier publiquement a suscité de nombreuses réactions. Beaucoup de gens réagissent et disent: +Assez!+», se félicite-t-elle.
A l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, la gouverneure générale a organisé une table ronde avec des femmes du monde entier pour discuter du problème du harcèlement en ligne et des solutions possibles.
«Nous commençons à parler de ce qu'il faut faire. Le gouvernement a un rôle à jouer. Les grandes industries numériques aussi...», énumère-t-elle évoquant les effets délétères que ces campagnes de haine ont sur les jeunes filles notamment.
Citant en particulier les femmes occupant des postes de haut niveau, les femmes et les filles autochtones, celles issues de minorités ethniques, la gouverneure générale déplore qu'elles soient «davantage visées que les hommes».
Cette Inuite du Nunavik (nord du Québec), nommée en 2021, évoque «des effets dévastateurs sur l'engagement civique, la confiance en soi et la santé mentale, et peut limiter les activités professionnelles des femmes».
- Réconciliation -
Pour Mary Simon, ces attaques sur ses origines sont aussi la preuve que son pays a encore du chemin à faire sur la voie de la réconciliation entre les différents peuples du Canada.
«J'aimerais bien sûr voir plus de progrès» en matière de réconciliation, explique-t-elle encore à l'AFP en parlant d'un long processus. «C'est un engagement à vie pour améliorer nos relations au Canada entre les différentes cultures et les différents peuples, en particulier avec les peuples autochtones».
«Je pense que les Canadiens ont pris conscience de la nécessité de travailler au renouvellement de ces relations», ajoute-t-elle, évoquant son souhait d'un dialogue «qui ne soit pas basé sur le racisme, ou toujours sur la négativité».
Les populations autochtones du Canada connaissent des niveaux de pauvreté plus élevés et une espérance de vie plus faible que les autres Canadiens, et sont plus souvent victimes de crimes violents, de toxicomanie et d'incarcération.
Depuis bientôt deux ans, le sombre passé colonial du Canada a ressurgi à mesure qu'ont été découvertes des tombes d'enfants près de pensionnats où étaient enrôlés de force les enfants autochtones.
Dans ces institutions, ils ont été coupés de leur famille, de leur langue et de leur culture et des milliers n'en sont jamais revenus, victimes de malnutrition, de maladies et de mauvais traitements.
Des progrès doivent encore être faits pour «assurer une meilleure égalité» entre Canadiens, juge Mary Simon.