PODGORICA: La scène politique du Monténégro a été bouleversée dimanche soir par la défaite à la présidentielle du vétéran Milo Djukanovic, après trois décennie de règne dans le minuscule pays des Balkans, face au nouveau venu Jakov Milatovic.
L'issue du second tour de la présidentielle est déterminante dans ce pays riverain de l'Adriatique. Elle pèsera sur des législatives anticipées convoquées pour le 11 juin après des mois de blocage, avec un gouvernement censuré qui ne gère que les affaires courantes.
D'après les projections de l'ONG CeMI portant sur la quasi-totalité des bureaux de vote, Jakov Milatovic, un économiste pro-européen de 36 ans, a obtenu environ 60% des voix, contre 40% à son rival.
"Le Monténégro a choisi et je respecte ce choix", a déclaré le président sortant en concédant sa défaite. "Je veux que Milatovic soit un président performant car cela signifiera que le Monténégro pourra être un pays performant".
Dans les rues de Podgorica et d'autres villes du pays, les partisans du candidat du mouvement "Europe maintenant" célébraient sa victoire en faisant exploser des feux d'artifice et en klaxonnant.
Milo Djukanovic est depuis plus de 30 ans un incontournable de la scène politique du Monténégro, exerçant à de multiples reprises les fonctions de Premier ministre ou de président.
«Défaite de l'ancien régime»
C'est son plus important revers depuis la défaite historique de son parti, le Parti démocratique des socialistes (DPS), aux dernières législatives de 2020. Depuis lors, le pays allait de crise en crise, avec la chute de deux gouvernements.
"Je suis convaincu de ma victoire", avait déclaré Jakov Milatovic en votant. "Elle représentera la défaite finale du symbole de l'ancien régime" et "nous ferons un pas de géant vers un Monténégro réconcilié, plus riche, plus juste".
Milo Djukanovic était arrivé aux commandes en 1991 dès l'âge de 29 ans, soutenu par l'homme fort de Belgrade, Slobodan Milosevic, aux débuts des guerres qui consacrèrent l'éclatement sanglant de l'ancienne Yougoslavie.
A mesure que la Serbie devenait un paria sur la scène internationale, il a su prendre ses distances. Il s'est rapproché de l'Occident, a rompu avec Belgrade, a obtenu l'indépendance du Monténégro lors d'un référendum en 2006. Son pays a rejoint l'Otan, est devenu candidat à l'Union européenne et est sorti de la sphère d'influence russe.
Mais ses contempteurs l'accusent de clientélisme, de corruption généralisée et de liens avec le crime organisé, ce que l'intéressé dément avec force.
"Ce soir, avec tous les citoyens, nous avons dit un adieu décisif au crime, à la corruption, et aux liens entre le crime, la corruption et la politique au Monténégro", a dit Jakov Milatovic dans son discours de victoire.
Vulnérabilité à l'ingérence
Milo Djukanovic a mené campagne en mettant en doute la sincérité de l'ancrage européen de son rival et de "L'Europe maintenant", tout en l'accusant d'être vulnérable à l'ingérence serbe.
Ce à quoi Jakov Milatovic a répliqué que sa "priorité numéro un pour le Monténégro était une adhésion pleine et entière à l'Union européenne". Il s'est également dit favorable à de "bonnes relations avec la Serbie comme avec toutes les nations des Balkans occidentaux".
Depuis des années, Milo Djukanovic cherche à limiter l'influence de la Serbie et à consolider une identité nationale séparée du Monténégro. Une tâche peu aisée dans un pays où un tiers des 620.000 habitants s'identifient comme serbes.
Jakov Milatovic, un ancien de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), est entré en politique en devenant ministre du Développement économique dans le premier gouvernement formé après les législatives de 2020.
Qualifié de populiste par certains, ce père de trois enfants s'est fait particulièrement apprécier en imposant un programme économique controversé qui a quasiment doublé le salaire minimum à 450 euros.
Pour de nombreux électeurs, le scrutin doit déboucher sur de meilleures conditions économiques au Monténégro, qui subit, comme le reste des Balkans, l'exode de sa jeunesse.
Les résultats officiels du scrutin sont attendus dans les jours qui viennent. En tout état de cause, le président a essentiellement un rôle de représentation et le Premier ministre détient les principaux leviers du pouvoir.