KAZAN: Annoncée début mars, la réintégration des escrimeurs russes prend du temps à se concrétiser et apparaît comme un casse-tête pour la sélection russe, trois semaines après une décision en ce sens de la Fédération internationale d'escrime (FIE).
"Il doit y avoir une limite à ces absurdités", dénonce auprès de l'AFP le président de la Fédération russe d'escrime, Ilgar Mamedov. "Nous ne pouvons pas vivre tout le temps dans le suspense".
Les athlètes russes ont été interdits de toutes compétitions internationales dans la foulée du lancement de l'offensive militaire en Ukraine l'an passé.
Assis près d'une piste d'escrime où deux jeunes femmes s'affrontent à l'épée, il insiste: "les sportifs doivent comprendre où nous sommes à ce jour, si on participe ou pas" aux compétitions pour se qualifier pour les Jeux olympiques 2024 à Paris.
Or, le "oui" ou le "non" sans équivoque de la part de la Fédération internationale d'escrime (FIE) n'est toujours pas là, selon Ilgar Mamedov, à moins d'un mois du coup d'envoi des qualifications pour les JO, prévu en avril à Poznan, en Pologne.
La décision de la FIE avait toutefois provoqué l'ire de Kiev, puis plus de 300 escrimeurs du monde entier avaient signé une pétition pour dénoncer la position de la Fédération internationale.
Un léger avant-goût des Jeux était pourtant bien palpable au sein de la sélection russe d'escrime, lors des compétitions d'épée baptisées "Coupe de l'Amitié" qui ont réuni ce week-end des épéistes russes, serbes, arméniens ou encore vietnamiens à Kazan, sur les bords de la Volga.
"J'irais avec plaisir à ces Jeux", affirme à l'AFP la championne actuelle d'épée de Russie, Aizanat Murtazaeva, 21 ans. Quatrième aux JO de Tokyo en 2021, elle aimerait "prendre sa revanche" à Paris et "revenir avec une médaille".
Anastasiia Rustamova, qui a remporté à 16 ans le championnat d'Europe juniors en février 2022, est enthousiaste elle aussi. "On progresse, on devient plus fort, on va gagner aux Jeux" de Paris, lance-t-elle à l'AFP.
Meilleurs sportifs visés
La FIE a décidé le 10 mars de réintégrer les sportifs russes et bélarusses, à partir de la mi-avril et sous réserve des recommandations du CIO.
Celui-ci a recommandé le 28 mars un retour de ces athlètes, mais a posé un nombre de conditions, jugés "discriminatoires" par le Comité olympique russe.
Une fois la décision du CIO rendue publique, la Fédération russe d'escrime s'est tournée vers la FIE pour demander si désormais la réintégration était valide.
Vendredi soir, aucune réponse n'était encore parvenue, a expliqué à l'AFP M. Mamedov.
Le CIO a mis comme conditions pour le retour des athlètes russes de participer sous bannière neutre, "à titre individuel", de ne pas soutenir "activement" le conflit en Ukraine et de ne pas être "sous contrat" avec l'armée ou les organes de sécurité russes.
Ce dernier critère vise directement les athlètes du CSKA et du Dynamo, à savoir les sportifs russes les plus médaillés dans les disciplines olympiques, y compris l'escrime.
"Nos meilleurs sportifs sont issus soit du CSKA, soit du Dynamo", explique à l'AFP M. Mamedov au sujet des deux grands clubs sportifs de Moscou créés en 1923.
C'est le cas notamment de la double championne olympique de sabre, Sofya Velikaya, ou encore des médaillés d'argent en équipe d'épée masculine Pavel Sukhov et Sergey Bida aux JO de Tokyo en 2021.
Cent ans après, ils sont devenus des clubs de référence en Russie, en formant des athlètes dans plus de 70 disciplines sportives.
Tournois annulés
Si les tireurs russes ne savent pas encore s'ils sont vraiment réintégrés, plusieurs pays européens se succèdent déjà pour annuler leurs étapes de Coupe du monde, pour protester contre cette réintégration.
Vendredi, la France a ainsi décidé d'annuler l'étape de Coupe du monde de Saint-Maur-des-Fossés, prévue en mai et qualificative pour les JO-2024.
Avant elle, la Fédération allemande avait renoncé à l'étape de Coupe du monde de fleuret femmes à Tauberbischofsheim du 5 au 7 mai, qualificative pour les JO-2024, tout comme la Fédération danoise pour une épreuve satellite.
Pour la Fédération danoise, la situation actuelle est du "gâchis". "Nous prévoyons également qu'il y aura du chaos lors des compétitions internationales, car les escrimeurs refuseront probablement d'affronter des escrimeurs russes et bélarusses", a prévenu son président, Jan Sylvest Jensen.
Le conflit en Ukraine, "est-ce le seul conflit qui a actuellement lieu dans le monde? Partout ailleurs, est-ce calme et tranquille?", s'interroge de son côté Ilgar Mamedov.
Et d'ajouter: "Je pose toujours cette question, mais il n'y a jamais personne pour y répondre. Comment l'exclusion des athlètes russes peut-elle aider l'Ukraine ?"