PARIS: Il était l'un des rares musiciens classiques en vue à donner son opinion politique sur Twitter avant de quitter la plateforme en raison du "niveau de toxicité" qu'elle a atteint, mais le pianiste Igor Levit n'en reste pas moins engagé.
L'Allemand d'origine russe de 36 ans, l'un des pianistes les plus virtuoses de sa génération, est connu dans son pays pour son engagement contre l'antisémitisme, l'extrême droite ou le racisme, et en faveur des réfugiés.
A tel point qu'en 2019, il se produit, encadré de lourdes mesures de sécurité, lors d'un concert dans une ville du sud de l'Allemagne, après avoir été la cible de menaces de mort à caractère antisémite.
«Devoir social»
"J'ai affiché publiquement mes prises de position et il y a un prix à payer pour ça, mais c'est un choix personnel", affirme à l'AFP le pianiste, qui joue mercredi au Festival de Pâques à Aix-en-Provence, dans le sud de la France, aux côtés de son fondateur il y a 10 ans, le violoniste Renaud Capuçon.
"Mon empathie n'a rien à voir avec le fait que je sois un musicien classique. Il s'agit d'un devoir social", assure celui qui dit apprécier la portée du mot "citoyen" en langue française.
Maîtrisant parfaitement l'anglais, il n'avait pas hésité à jouer en 2017 "L'Ode à la joie" de Beethoven - hymne de l'Union européenne - lors des BBC Proms, quelques mois après le vote du Brexit.
Sur Instagram (plus de 85 000 abonnés), il a récemment appelé à lever des fonds pour les victimes du séisme en Turquie et en Syrie.
Et quand, pendant le confinement, il fait sensation en jouant dans son studio à Berlin pendant 20 heures d'affilée "Vexations" d'Erik Satie - un motif unique répété 840 fois -, c'est pour lever des fonds pour les musiciens freelance touchés par la pandémie.
Il a quitté Twitter en novembre dernier, refusant le principe de la certification bleue payante exigée par son nouveau patron Elon Musk et par peur pour son entourage après les menaces. Il reproche aussi au réseau social un important "niveau de toxicité", alors que, ce qu'il aime par-dessus tout, c'est "la connexion" avec le public.
"Ce qui me tient le plus à coeur, c'est qu'il y a des gens qui me font le cadeau de leur présence dans la salle", dit le musicien aux allures d'intello et aux tenues décontractées.
Malgré son propre succès, notamment comme pianiste beethovénien - il a entre autres enregistré l'intégrale de ses sonates de piano chez Sony Classical, un tour de force -, il a conscience qu'il est de plus en plus difficile pour les musiciens d'attirer le public à des concerts classiques.
"La vie devient plus chère et cela a de vraies conséquences sur le mélomane de classe moyenne. Les gens se posent de plus en plus la question +pourquoi j'irais à ce concert ?+ ou +à quel concert vais-je assister ?+", relève celui qui a raflé de nombreux prix, dont celui du Concours international de piano Arthur Rubinstein en 2005.
Loué à la fois pour sa fulgurance et sa précision, il est constamment avide de répertoires nouveaux: "j'ai 70 à 80 heures de musique sous les mains, je veux toujours plus", sourit le pianiste qui a commencé à jouer à l'âge de trois ans.
Il est né d'une mère pianiste et d'un père ingénieur en construction, à Nijni Novgorod, en Russie. Pays avec lequel il n'a gardé aucun lien.
"Je ne ressens que douleur et horreur face à ce qui passe en Ukraine", affirme Igor Levit, qui a émigré à l'âge de huit ans avec sa famille pour s'installer à Hanovre.
Avec la guerre, "c'est comme si j'avais été complètement rejeté par le pays de ma naissance", dit-il.