Résumé
Le 2 Mai 2011, un commando ‘SEAL’ de la marine américaine prend d’assaut une enceinte fortifiée dans le Nord-Est du Pakistan, dans la ville d’Abbottabad, et abat Oussama Ben Laden, le chef d’Al-Qaïda.
L’opération, menée dans les toutes premières heures de la journée, a mis fin à une chasse à l’homme de 10 ans, pour attraper le terroriste le plus recherché au monde, responsable des attaques du 11 septembre 2001 sur les Etats-Unis, et bien d’autres attentats terroristes.
Le jour suivant, un éditorial d’Arab News célébrait « la fin de la malédiction » sur le monde musulman. Ben Laden et ses « versions tordues de l’Islam », selon l’article, avait rendu la religion musulmane « crainte et détestée par des millions de personnes » et était responsable, en grande partie, de la « propagation de la marée d’islamophobie internationale ».
DUBAÏ : Grand, maigre, vêtu d’un ‘thobe’ de couleur grise qui lui arrivait aux chevilles, et d’un turban blanc, il tenait près de son torse un fusil AK-74. J’ai pénétré dans la salle et il s’est aussitôt dirigé vers moi pour m’enlacer. C’est alors que j’ai enfin été saisi par la gravité du moment : J’étais face-à-face avec Oussama Ben Laden, l’homme le plus recherché de la planète.
J’avais passé une bonne partie de ma carrière, à travers les décennies, à penser et écrire sur Ben Laden et le groupe Al-Qaïda qu’il avait transformé en entreprise multinationale pour exporter son idéologie.
Les dates clés :
- 1988 : Oussama Ben Laden, fils d’un riche homme d’affaires saoudien, crée Al-Qaïda pour soutenir la résistance afghane face à l’invasion soviétique.
- Le 9 avril 1994 : L’Arabie Saoudite retire la citoyenneté à Oussama Ben Laden pour son soutien à l’extrémisme islamique.
- Le 23 août 1996 : Ben Laden déclare le jihad, s’engageant à chasser les forces américaines de la péninsule arabe et à renverser le gouvernement saoudien.
- Le 7 août 1998 : Deux attentats simultanés à la voiture piégée frappent les ambassades américaines en Tanzanie et au Kenya, faisant 200 morts : Le FBI met Ben Laden sur sa liste de terroristes les plus recherchés.
- Le 11 septembre 2001 : Des attaques terroristes coordonnées sur les Etats-Unis, fomentées par Ben Laden, font près de 3 000 morts.
- Le 14 décembre 2001 : Ben Laden échappe à une attaque américaine sur les caves et tunnels d’Al-Qaïda, dans les montagnes de Tora-Bora, dans l’Est de l’Afghanistan.
- Le 2 mai 2011 : Aux alentours d’1h00 du matin, un commando ‘SEAL’ de la marine américaine prend d’assaut la cache de Ben Laden dans le Nord-Est du Pakistan, dans la ville d’Abbottabad.
J’étais donc là, dans sa cache aux murs de boue séchée, étroitement gardée, dans le Sud de l’Afghanistan, le 21 juin 2001 – moins de trois mois avant les attaques sur le World Trade Center et le Pentagone, le 11 septembre 2001, qui mirent les noms d’Al-Qaïda et son fondateur sur toutes les lèvres, dans chaque recoin de la planète.
A cette époque, j’étais le correspondant-Asie pour le groupe Middle East Broadcasting Centrer, basé à Londres, et j’avais reçu un coup de fil trois mois plus tôt, m’invitant en Afghanistan pour rencontrer Ben Laden. Alors que nous étions en train de nous asseoir sur un matelas au sol, en cet après-midi d’été, ma première question était de savoir pour quelle raison il m’avait accordé cet entretien et quel était le message qu’il voulait adresser au monde à travers moi.
Quelques instants plus tôt, Ben Laden m’avait dit qu’il ne ferait que des « commentaires limités » car il était contraint de ne pas s’adresser aux médias par ses hôtes en Afghanistan, les Talibans, qui étaient arrivés au pouvoir dans cette nation ravagée par la guerre principalement grâce à l’aide de Ben Laden. En retour, ils lui avaient offert un refuge.
Ce sont ses aides de camp qui avaient occupé une bonne partie du temps de parole durant l’entretien de trois heures. Parmi eux, figuraient Mohammad Atif (alias Abou Hafs), ainsi que le chef militaire d’Al-Qaïda, Ayman Al-Zawahiri, qui dirige aujourd’hui ce qui reste du groupe transnational, et Othman, un homme qui avait été chargé de la logistique pour organiser mon entretien et qui ne divulguait que son prénom.
« Le président Obama a dit que la dépouille avait été traitée dans le respect des coutumes de l’Islam, qui requièrent un enterrement rapide. Le Pentagone a par la suite déclaré que le corps de Ben Laden avait été lesté du porte-avions USS Carl Vinson dans les eaux de la mer d’Arabie après avoir été lavé, dans le respect de l’Islam ».
Extrait d’un article d’Azhar Masood à la une d’Arab News.
« Dans les prochaines semaines, il y aura une grosse surprise, nous allons frapper des installations américaines et israéliennes », m’avait dit Abou Hafs. « Le commerce de cercueils va augmenter aux Etats-Unis ».
Je me suis tourné vers Ben Laden et lui ai demandé si c’était vrai. Il a souri et hoché la tête.
Dans un entretien avec Pamela Constable pour le Washington Post, le mois suivant, j’avais répété : « Ils ont dit qu’il y aurait des attaques contre des installations américaines et israéliennes dans les prochaines semaines. J’en suis persuadé à 100% et c’était absolument clair qu’ils m’avaient amené là-bas pour me faire entendre ce message ».
Deux mois plus tard, les attaques du 11 septembre 2001 ont démontré que l’inquiétant message que m’avait adressé Ben Laden était vrai.
A la fin de l’entretien, le photographe personnel de Ben Laden avait pris quelques photos de nous et m’avait filmé avec Al-Zawahiri et le fondateur d’Al-Qaïda, qui me dit qu’il m’inviterait à nouveau pour un entretien.
Extrait des archives d’Arab News, le 3 mai 2011.
« Si quelque chose d’important arrive, j’irai me cacher dans les régions tribales du Pakistan », m’avait dit Ben Laden, en me serrant la main avant de sortir de la salle. « C’est là que tu pourras venir à nouveau pour m’interviewer ».
Une décennie plus tard, à quatre heures du matin, le 2 mai 2011, j’étais à l’aéroport d’Islamabad, prêt à embarquer sur un vol pour Dubaï, lorsqu’un journaliste à Kaboul m’envoya un message, me demandant si j’avais eu vent des rumeurs de la mort de Ben Laden lors d’un raid américain au Pakistan. Quelques heures plus tard, un journaliste pakistanais m’envoya un message à propos du crash d’un hélicoptère dans la ville de garnison d’Abbottabad.
Suspectant que les deux événements pouvaient être liés et suivant mon instinct de reporter, je me suis dirigé vers un représentant de la compagnie d’aviation, lui disant que j’étais journaliste et que j’avais besoin de son aide pour récupérer mon bagage de l’avion. L’homme était excité d’entendre la nouvelle de la mort probable de Ben Laden et il me conduisit par la main aux services d’immigration, demandant à ses collègues de m’aider parce que je devais couvrir l’une des nouvelles les plus importantes de l’histoire moderne.
De l’aéroport, j’ai rejoint directement Abbottabad, à 50 kilomètres au nord de la capitale du Pakistan, Islamabad. J’y étais à 9 heures du matin. Un large groupe de journalistes excités s’étaient rassemblés à proximité du complexe où Ben Laden s’était caché durant des années. Un soldat pakistanais les empêchait d’y pénétrer.
« J’étais donc là, dans sa cache aux murs de boue séchée, étroitement gardée, dans le Sud de l’Afghanistan, le 21 juin 2001 – moins de trois mois avant les attaques sur le World Trade Center et le Pentagone, le 11 septembre 2001 ».
Baker Atyani
Entre temps, le président américain Barack Obama avait confirmé que Ben Laden avait été tué dans un raid nocturne des forces américaines dans la ville d’Abbottabad, pas loin des régions tribales où le chef d’Al-Qaïda m’avait dit qu’il s’y refugierait s’il devait fuir d’Afghanistan. C’était la fin d’une chasse à l’homme qui avait duré une décennie pour capturer l’homme qui avait redéfini la menace du terrorisme au XXIème siècle.
Jusqu’ à ce jour, les Etats-Unis n’ont dévoilé que peu de détails du raid. Un nombre restreint de personnes - une poignée de responsables de l’administration et de l’armée ainsi que les Marines SEALs qui avaient exécuté l’opération – avaient été tenus au secret des événements du 2 mai et la plupart des documents relatifs à l’opération ont été classifiés par le gouvernement américain. Des questions subsistent sur le potentiel rôle du gouvernement pakistanais, qui aurait permis à Ben Laden de se cacher dans un complexe situé à portée d’une académie militaire d’élite.
Avec le passage des années, je pense souvent à cet entretien dans la cache de Ben Laden dans le désert, et je me demande s’il avait pu prévoir qu’après lui, les rangs d’Al-Qaïda seraient dépeuplés par des attaques américaines implacables et par l’émergence de Daech. Je me demande aussi ce qu’il aurait pu dire d’autre si nous nous étions à nouveau rencontrés.
En novembre 2001, à peine deux mois après les attaques du 11 septembre, Othman, l’aide logistique de Ben Laden, m’avait appelé pour me dire que « la personne » était prête à me rencontrer de nouveau. « Viendras-tu ?” m’avait-il demandé.
Je n’ai jamais répondu à Othman et ma rencontre avec Ben Laden demeure la dernière rencontre connue du chef d’Al-Qaïda avec un journaliste avant les attentats du 11 septembre 2001.
Baker Atyani, directeur du bureau d’Asie du Sud-Est d’Arab News, a interviewé Ben Laden trois mois avant les attaques du 11 septembre 2001.