AIX-EN-PROVENCE : "Notre ADN, ce n'est pas la danse numérique. Notre ADN, c'est le spectacle vivant. Donc on essaie de montrer qu'on est encore vivants. Que le public est vivant. Je crois que tout le monde a envie de se retrouver", explique-t-il. Avec le confinement, il a pris un mois et demi de retard sur la création de ce tube des ballets dont lui-même reconnaît qu'il est "une sorte d'Everest du chorégraphe".
Mais finalement, cela tombe bien car c'est le "spectacle anti-confinement par excellence" : populaire, avec du monde sur scène. Ici, 27 danseurs. Sa vision ? En faire une ode à la préservation, car "si on réfléchit très très simplement, le lac, c'est de l'eau. Une ressource naturelle nécessaire à la survie des espèces. Les animaux, il y a des espèces qui sont en voie d'extinction. Et puis, il y a le territoire autour du lac qui pourrait presque être une Zad, une Zone à défendre". Sur la scène en plein air du théâtre de l'Archevêché à Aix-en-Provence, le chorégraphe arrive en chaussettes, jogging, tee-shirt blanc. Sa troupe est en short et débardeur. Pas de tutu, de paillettes ni de faste pour l'instant. Juste un travail aride sur "la syntaxe du corps". Il montre des pas. Ses danseurs s'exécutent avec une rapidité et une mémoire stupéfiantes. Sans musique ni costume, le regard change et le public perçoit les bruits secs des corps qui tombent à terre. Il mesure la performance physique. Ils ne se parlent presque pas, à part pour reprendre le rythme ensemble sur des "1.2.3; 2.2.3; 3.2.3; ...". Connu pour son écriture chorégraphique millimétrée, il présente Dany Lévêque, la choréologue assise dans un coin. Elle note les mouvements sur des partitions jusqu'à des détails comme la direction des yeux ou la position des doigts.
Une place pour l'improvisation
Les danseuses et les danseurs "sont très, très présents. Ils m'aident, me confirment des choses. Ils sont très, très inspirants pour moi", confie-t-il. Ils se parlent d'un regard, d'un geste. Au bout d'une heure arrive enfin la musique de Tchaïkovski et tout devient plus léger. Ce qu'il recherche : "une sorte d'évidence. Quand ce qu'on voit, c'est ce qu'on entend" et vice-versa. Cette séquence de l'Acte 3 prend forme, les gestes deviennent plus amples, plus naturels. Dans les gradins, parsemés et masqués, beaucoup se demandent : improvise-t-il ou avait-il préparé ce bout de chorégraphie à l'avance ? "Il y a une sorte d'idée de la dramaturgie que j'ai maturé pendant le confinement. C'est une ligne directrice. Je sais ce que je veux dire en substance, mais pas en matière. Quand je suis arrivé tout à l'heure, la matière n'existait pas, même dans mes rêves", répond-il à un spectateur. Pour Grégory Ramsay, venu avec son épouse ce soir, "c'est une réelle surprise que rien n'ait été préparé à l'avance". Il a beaucoup apprécié cette immersion artistique, "le management vigilant et bienveillant" du chorégraphe vis-à-vis de ses danseurs.
Angelin Preljocaj souhaitait symboliser, le temps de quatre soirées (deux autres dates sont prévues les 28 et 30 juillet), l'idée que sa troupe et son public avancent ensemble. Surtout dans un moment où le Ballet Preljocaj, basé au Pavillon noir, à Aix-en-Provence, traverse comme toutes les compagnies une passe difficile : le manque à gagner est estimé à 1,5 million d'euros entre mars et septembre, sur un budget annuel de 7 millions. A la tête d'une équipe de 60 personnes, l'artiste mesure sa responsabilité. "On est une compagnie qui marche avec 45% de recettes propres. Ça veut dire que si 45% disparaissent, je dois licencier 45% des danseurs, des administratifs, des techniciens. Donc, c'est vraiment énorme". Il espère que cette nouvelle création permettra de renflouer les caisses lors d'une tournée qui doit débuter à La Comédie de Clermont-Ferrand en octobre, avant le Grand Théâtre d'Aix-en-Provence, Chaillot ou même la Russie ou l'Autriche.