PARIS: Le monde n’est plus ce qu’il était le 24 février 2022, date du déclenchement de la guerre en Ukraine. Avec le retour de la guerre sur le vieux continent et les bouleversements mondiaux en cours, la France et l’Europe se trouvent mêlées à une guerre dont l’issue reste incertaine. Ainsi, l’Union européenne (UE) doit faire face à un conflit prolongé et à une guerre d’usure de facto. Au fil du temps, la validité des choix stratégiques de la France et de l’UE est mise à rude épreuve.
Les contours de l’engagement français
Le conflit en Ukraine et autour de l’Ukraine, envenimé depuis 2014, a été au centre des préoccupations diplomatiques de Paris. La France et l’Allemagne ont été les deux principaux partenaires – garants européens des accords de Minsk II (février 2015) – pour trouver une solution politique à la guerre du Donbass. Mais Berlin et Paris n’ont pas réussi à démêler le nœud gordien ukrainien. Les raisons de cet échec européen sont multiples et liées à des craintes russes concernant l’élargissement de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan) vers l’Ukraine, et à un soutien ferme accordé par Washington et Londres à une Ukraine émancipée, une situation intolérable pour Moscou.
L’introuvable compromis menait à l’impasse, provoquant l’escalade de 2021-2022, et sans aucun doute la faiblesse politique de l’UE n’a pas aidé Paris et Berlin à appliquer les accords de Minsk. Dans le contexte du «retour de la Russie» et de la résurgence du «problème ukrainien», la relation bilatérale franco-russe fut affectée durant le mandat de François Hollande (2012-2017). En revanche, dès son arrivée à l’Élysée, Emmanuel Macron n’a cessé de déployer des efforts pour améliorer les relations avec son homologue russe. Mais la tentative fut stoppée après «l’invasion russe de l’Ukraine» selon la perception de Paris qui condamnait l’agression d’un pays indépendant en violation du droit international.
Le 7 février 2022, M. Macron se rendait au Kremlin pour proposer un dialogue afin d’éviter la guerre. Mais la décision de Vladimir Poutine de ramener l’Ukraine dans le «giron impérial russe» et le refus par Washington de donner des garanties rassurant Moscou (notamment le non-élargissement de l’Otan aux frontières de la Russie) ont mis le feu aux poudres.
Le 24 février 2022, les dés sont jetés et la guerre éclate, la France et l’Europe sont devant le fait accompli. La fermeté de l’UE contre «la guerre agressive» met en échec le pari russe sur la faiblesse de l’Europe et ses divisions.
La fermeté de l’Union européenne contre «la guerre agressive» met en échec le pari russe sur la faiblesse de l’Europe et ses divisions.
Les contours de l’engagement français se sont dessinés au fur et à mesure de l’évolution de la situation politique et de la situation sur le terrain. Le président français qui tablait sur le maintien du contact avec son homologue russe n’a pas tergiversé dans le soutien à l’Ukraine. Mais Paris constate que la voie des négociations est bloquée et que la partie russe est déterminée dans sa tentative de conquête du territoire ukrainien.
En conduisant l’UE jusqu’à la fin du mois de juin 2022, Emmanuel Macron, aux côtés du chancelier allemand et du Premier ministre polonais, jouait les pivots de l’action européenne solidaire avec Kiev. Cependant, la France, déçue par le non-avènement d’un pôle européen stratégiquement autonome, se trouve impliquée dans l’effort de l’Otan et envoie ses forces en Roumanie pour renforcer le front Est de l’alliance. Concernant la contribution française directe dans l’effort ukrainien de guerre, Paris fournit des armements défensifs et notamment les canons Caesar pour stopper les avancées russes.
Dans le même temps, Paris plaide toujours pour laisser la porte ouverte à une possible négociation avec Moscou au moment opportun. Ce positionnement français (qui craint la rupture de tous les ponts avec la Russie) suscite des réactions mitigées dans les milieux occidentaux en fustigeant le cavalier seul diplomatique de M. Macron. Les propositions du président français en décembre dernier (après une visite à Washington) suggérant des «garanties de sécurité» pour la Russie, ont été rejetées par l’Ukraine et ses alliés occidentaux inconditionnels.
Lors de la conférence de Munich sur la sécurité, Emmanuel Macron a reconnu que «l’heure n’est pas au dialogue», mais à «l’intensification du soutien à l’Ukraine» afin d’aller vers des «négociations crédibles». Face à un conflit prolongé, le président s’aligne sur l’hypothèse d’une «défaite de la Russie» après avoir tenté de conserver des canaux de discussion avec M. Poutine, s’attirant parfois de vives critiques de pays européens. Sur le plan intérieur français, la politique ukrainienne de M. Macron ne rencontre pas un écho unanime compte tenu des répercussions sociales et économiques de la guerre.
Lors de la conférence de Munich sur la sécurité, Emmanuel Macron a reconnu que «l’heure n’est pas au dialogue», mais à «l’intensification du soutien à l’Ukraine» afin d’aller vers des «négociations crédibles».
Les possibles fissures du front européen commun
La guerre en Ukraine a fait basculer l’ordre mondial et fragmenté l’espace mondial (Occident-Sud global). En revanche, cette guerre n’a pas permis de briser l’unité des Occidentaux et de l’UE.
Lors de la conférence de Munich (17-19 février), l’UE a été présentée en force aux côtés de plusieurs dirigeants européens, en affichant un front commun cohérent contre la Russie.
Malgré les aléas et les soubresauts de ce conflit prolongé, l’UE préserve une ligne unie aux côtés de l’Otan, du Royaume-Uni et d’autres pays occidentaux sous le leadership des États-Unis.
Il y a un an, l’événement ukrainien marquait le retour de la guerre de haute intensité en Europe (avec son lot de lourdes pertes humaines et matérielles) qu’on croyait révolue. Ce tournant géopolitique entraîne des changements pour la défense de l’Europe: soutien sans précédent à l’Ukraine; remodelage de la politique de défense de l’Allemagne; demande d’adhésion à l’Otan de la part de la Suède et de la Finlande et discussion d’une défense collégiale dans le cadre de l’UE ou de l’Otan.
Malgré l’unité affichée de l’UE, tout n’est pas idyllique et on constate des différences d’approche politique et militaire entre les pays européens. Le duo franco-allemand perd de sa vigueur et de son rôle moteur au sein de la maison européenne, tandis que le groupe de neuf pays de l’Europe centrale et d’Europe de l’Est, soit la Bulgarie, l’Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie et la République tchèque (surnommé un jour par un ancien secrétaire américain de la Défense «la jeune et nouvelle Europe», en opposition à la vieille Europe de l’Ouest) devient l’interlocuteur privilégié de Washington et pèse dans l’orientation stratégique de l’Europe.
Ce «schisme» au sein de l’UE est accentué par la guerre en Ukraine entre les partisans d’une Europe souveraine qui n’exclut pas de renouer avec la Russie, et une Europe atlantique coupée de la Russie. Pour le moment, les fissures ne sont pas apparentes. Toutefois, si la guerre d'usure se prolonge et que les économies européennes continuent de souffrir, le front européen commun sera sérieusement mis à l'épreuve.
À moyen terme, les choix stratégiques des acteurs européens seront validés ou invalidés par leurs opinions. En fin de compte, l’UE se classe actuellement parmi les «perdants» dans l’affrontement international débuté en Ukraine (les États-Unis et la Chine en sont les gagnants). Le défi russe en Ukraine et le retour en force des États-Unis sur la scène européenne bouleversent l’équation stratégique européenne pour longtemps.